Dans le cadre de la planification et de l’aménagement du territoire national pour les prochaines décennies, le gouvernement a annoncé la mise en consultation publique du projet d’arrêté relatif à la mutualisation nationale de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers des projets d’envergure nationale ou européenne (PENE) d’intérêt général majeur. Cette consultation a lieu depuis le 12 avril 2024 et s’achèvera le 2 mai prochain, pour une durée de 3 semaines au total seulement. Le temps accordé au public pour s’exprimer est bien trop restreint compte tenu de l’importance des enjeux environnementaux, économiques et sociaux qui sous-tendent ces projets de grande ampleur. L’existence de deux listes permet certes de distinguer l’avancée de la conception de ces projets, néanmoins nous nous opposons à ce que les projets actuellement en phase d’études préliminaires figurent dans les annexes, leur mention pouvant être interprétée comme une forme de “pré-validation” de ces projets.
L’esprit de la loi “Climat et résilience” d’août 2021 qui consacre l’objectif Zéro Artificialisation Nette est bien de ralentir notre consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers tout en sachant que la France est le pays européen qui bétonne le plus frénétiquement son territoire. L’artificialisation remet en cause les services écosystémiques que le sol nous rend quotidiennement, que ce soit l’absorption de carbone, la régulation du climat, l’amélioration de la qualité de l’eau et de l’air ou la réduction des pollutions. L’artificialisation condamne la vie et le développement de multiples espèces faunistiques et floristiques terrestres. L’artificialisation accroît la vulnérabilité de nos territoires aux catastrophes naturelles et notre dépendance alimentaire : en 70 ans, la France a perdu 12 millions d’hectares de terres agricoles. Il est primordial en ce sens d’aménager et de planifier le territoire national en connaissance de cause et en respectant le principe de sobriété foncière. Or, selon le projet d’arrêté soumis à consultation ce-jour, les PENE menacent près de 12 500 hectares d’ENAF sur l’ensemble du territoire français, alors même que certains d’entre eux ne répondent à aucun besoin apparent de la population. Il est plus qu’urgent de cesser le recours intempestif à l’artificialisation, pour le bien être de tous !
Des objectifs « clairement en deçà des enjeux environnementaux »
Par ailleurs, il est précisé que cette enveloppe d’artificialisation prévue pour les PENE ne sera pas décomptée et s’ajoute au contraire aux enveloppes régionales. Dans le cadre de la révision du SDRIF-E, n’ayant pas de trajectoire ZAN imposée par la loi, le Conseil Régional de la région Île-de-France semble opter aujourd’hui pour une réduction de seulement 20% d’artificialisation d’ENAF par décennie, en comptant les PENE franciliens. Cet objectif clairement en deçà des enjeux environnementaux, sera probablement rehaussé à 45 ou 50% si les PENE franciliens ne sont finalement pas décomptés sans que cela n’entraîne une réelle réduction d’hectares artificialisés sur la trajectoire régionale par rapport à ce qui était prévu initialement. Ce fait est d’autant plus inacceptable que la région francilienne est celle qui à ce jour, urbanise le plus son territoire proportionnellement à sa surface. Malgré tout, le présent projet d’arrêté prévoit l’implantation de 39 projets d’envergure nationale ou européenne au sein de la région francilienne, dont 18 inscrits en annexe 1 et 21 en annexe 2. Tous ces projets entraîneraient l’artificialisation d’un total de 905 hectares supplémentaires en Île-de-France, région qui, comme montré précédemment, souffre tout particulièrement des effets de l’urbanisation intensive qui a eu lieu ces dernières décennies. Il faut impérativement revoir la pertinence des PENE prévus en Île-de-France compte tenu de sa situation particulière et de l’urgence de préserver les espaces naturels, agricoles et forestiers franciliens.
Et des projets vraisemblablement injustifiés ou contraire à la transition environnementale
Tout d’abord, le projet d’arrêté fait état de 7 projets d’établissements pénitentiaires. L’Île-de-France concentre déjà 17 établissements de ce type, pour la plupart délabrés. Ces projets sont actuellement justifiés par la surpopulation des structures déjà existantes. Or, c’était déjà le cas de précédents projets du même type qui tentaient de répondre au même enjeu et qui attestent désormais d’une certitude : la création de nouvelles places de prison ne résout pas le problème de surpopulation au sein des établissements pénitentiaires. De nouveau, ces 7 projets condamneraient des espaces naturels, agricoles et forestiers abritant une biodiversité particulièrement riche et impossible à compenser. Par exemple, le projet de la prison de Noiseau, une maison d’arrêt de 800 places, est prévu sur une aire constituée de terres agricoles bordées par des cours d’eau et une forêt domaniale classée, constituant une vaste zone humide où vivent de nombreuses espèces protégées. Pour toutes ces raisons, la construction de projets d’établissements pénitentiaires semble parfaitement injustifiée en comparaison des bienfaits apportés par la préservation des ENAF alors épargnés.
De plus, le projet d’arrêté consacre la construction du réseau de transport public du Grand Paris, un projet dont le tracé de certaines lignes est soit injustifié, soit particulièrement destructeur d’espaces naturels. Par exemple, une partie de la ligne 18 du Grand Paris Express a été requalifiée au sol alors même qu’un tel aménagement traverserait un corridor écologique, créant du mitage. De même, le tracé actuel de la ligne 17 traverse le Triangle de Gonesse et prévoit une gare en plein milieu des champs agricoles : non seulement cela condamnerait des dizaines d’hectares de terres fertiles, mais cela ne répondrait à aucun besoin de mobilité apparent. Cette gare ne justifierait que la construction de nouveaux projets immobiliers sur le Triangle de Gonesse, ce qui est parfaitement inacceptable !
Il est urgent de revoir la gestion actuelle du foncier, hors d’âge
En outre, les Opérations d’intérêt national (OIN) créés par l’Etat il y a plus de 40 ans pour le développement des «villes nouvelles» en grande couronne de l’Ile-de-France comme celle de Sénart ou Val d’Europe, constituent par leur définition même un obstacle à la mise en œuvre de l’objectif de zéro artificialisation nette. Elles reposent en effet sur une préemption ancienne du foncier agricole par les Établissements publics d’aménagement en charge des programmes d’urbanisation et d’activités, sur la base de Zones d’activités concertées (ZAC). Fixées il y a longtemps, elles continuent à s’imposer au développement des villes concernées, sans remise à jour et sans tenir compte de l’évolution actuelle de l’équilibre précaire, habitat/activités/transports qui les caractérisent. La politique des OIN ne devrait donc pas être intégrée sans préalable dans l’ensemble des projets d’intérêt national ou européen en débat. Il n’est pas acceptable que de tels dispositifs d’urbanisation d’exception, datant d’un demi-siècle soient dispensés de l’effort de sobriété foncière qui s’impose aujourd’hui.
Pour toutes ces raisons, nous demandons à ce que les projets susmentionnés soient abandonnés et que la réalisation de tous les autres PENE prévu en Île-de-France soit conditionnés à la protection effective des espaces naturels, agricoles et forestiers et de la biodiversité.
Pour approfondir le sujet : Ensemble contre la bétonisation : 39 projets menacent nos sols en Île-de-France ! | FNE Île-de-France (fne-idf.fr)