1. Préambule.
À compter du 1er janvier 2024, conformément au droit européen et à la loi antigaspillage de 2020, le tri des biodéchets est généralisé à tous : professionnels et particuliers.
Sont concernés notamment les déchets alimentaires, aussi appelés « déchets de cuisine et de table », produits par les ménages ou les professionnels de la restauration.
Ces déchets, qui représentent une ressource importante en matière et en énergie, doivent être valorisés spécifiquement, pour garantir une bonne qualité de traitement alors que leur élimination actuelle par incinération ou par mise en décharge est un gaspillage énergétique et un contresens écologique.
Par ailleurs depuis le 1er janvier 2012, les personnes qui produisent ou détiennent une quantité importante de biodéchets ont l’obligation de trier ces biodéchets et de les faire valoriser dans des filières adaptées. Cette obligation qui s’est renforcée jusqu’à ce 1er janvier 2024 date à laquelle tous les acteurs professionnels doivent trier leurs biodéchets sans seuil minimum.
Dans son état des lieux de juillet 2023 l’ORDIF note cependant la faiblesse du chemin parcouru depuis les premières incitations au tri des biodéchets, comme dans le respect des échéances règlementaires. En juillet 2023 peu de collectivités avaient mis en place des actions d’envergure, même si marginalement certaines d’entre elles avaient mis en œuvre des opérations « pilote » à très petite échelle.
De la même manière, à dire d’expert, les obligations imposées aux gros producteurs de déchets alimentaires n’étaient pas respectées, faute de contrôles et de sanctions, y compris pour les acteurs publics.
11,5 kg triés par habitant constituent la part méthanisée des biodéchets, dans le cadre de l’objectif de l’ORDIF visant une réduction de 50 % des biodéchets non triés. (Figure-1)
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Figure-1 |
A l’échelle du SYCTOM et des 5,7 millions habitants de son territoire, ce sont ainsi à minima près de 66 000 tonnes de biodéchets méthanisables qui seraient collectées chaque année par le service public, Le SYCTOM évaluant par ailleurs ses besoins de valorisation à hauteur de 100 000 tonnes par an.
Il appartient ainsi aux collectivités de se mettre enfin en ordre de marche pour atteindre ces objectifs de collecte. |
2. Impact environnemental du projet.
Pour l’Autorité environnementale, les principaux enjeux concernant l’environnement et la santé humaine sont les suivants :
• la protection de la ressource en eau sur les sites d’épandage ;
• les nuisances (bruit, odeurs, trafic…) ;
• la gestion de déchets valorisables, les déchets alimentaires ;
• le bilan des émissions de gaz à effet de serre du projet et l’atténuation du changement climatique
2.1. Digestat.
Les préconisations et questions sans réponse :
Epandage en Normandie | Il n’est pas donné de justification sur la nécessité de transférer le digestat en Eure et Eure-et-Loir, alors que le Val d’Oise plus proche de Gennevilliers aurait pu également le recevoir. |
Qualité agronomique du digestat | Il aurait été utile de connaître les retours d’expérience de l’éco-centre Ikos Fresnoy-Folny (Seine-Maritime) exploité par PAPREC en partenariat avec NATUP, en particulier pour l’impact du digestat sur la qualité des sols |
Ressource en eau | Les avis de l’ARS Centre-Val-de-Loire, de l’ARS Normandie, de l’hydrogéologue sont positifs aussi bien pour les impacts sur les milieux naturels que sur le périmètre de protection des captages. |
Qualité de la collecte | Même si la collecte n’est pas de la compétence du SYCTOM, le syndicat doit avoir un objectif de contrôle de qualité sur les intrants en particulier pour les déchets ménagers collectés dans le « diffus » (Point d’apport volontaire et collecte en « porte à Porte »). Une caractérisation des flux entrants est à mettre en place pour « qualifier » des processus de collecte qui seront hétérogènes. |
Processus de déconditionnement | Ce processus est essentiel en particulier pour les flux « Tiers ». Il est essentiel de préciser l’origine de ces flux qui représenteront les plus gros volumes de biodéchets encore emballés : • rebus de fabrication agroalimentaire, • invendus de supermarché ou de plateformes logistiques, • biodéchets issus de la restauration |
2.2. Bruit.
2.2.1. Zones d’épandage.
Lié à l’ensemble des activités agricoles, l’impact de l’épandage n’est pas significatif.
2.2.2. Site de Gennevilliers.
L’Autorité environnementale rappelle que Les principales sources sonores actuelles sont le trafic routier, les entreprises voisines et le trafic aérien. Les seuils réglementaires de nuit en limite du site (60 dB(A)) sont déjà dépassés sur trois des quatre extrémités de la parcelle d’implantation (62,5 à 65,5 dB(A)).
Le mémoire en réponse à l’Autorité environnementale (Ae) apporte en particulier les réponses aux justifications demandées par l’Ae concernant les émergences en ZER (Zones à Emergence Règlementée).
2.3. Odeurs.
Deux niveaux de contrôles sont à mettre en œuvre :
• Les jurys de nez, seuls capables de mesurer l’impact sur le cadre de vie des riverains et pouvant déclencher un arrêt de l’exploitation dans le cadre de procédures contraignantes.
• Les contrôles technologiques de performance en particulier pour l’hydrogène sulfuré et les composés organiques volatils.
2.4. Transport
L’étude d’impact (Tome-9/Partie-4) donne un aperçu du trafic de poids lourds aux horizons 2025 et 2035. La livraison des intrants est uniquement organisée par voie routière.
En Comité d’administration du SIGEIF du 21 mars 2022, Mr Césari (SYCTOM) avait pourtant annoncé : « Le transport est prévu par barges avec une double sécurité de caisson hermétique. Les chargements à Ivry, à Romainville se feront sous des sas à pressurisation. L’utilisation des camions est limitée au strict minimum pour approvisionner l’unité. Les barges de digestat n’attendront pas à quai trop longtemps. »
Pour rappel le centre de transfert du SYCTOM à Romainville est dimensionné pour le transit de 40 000 tonnes de déchets alimentaires par an, et participera pour une grande part au fonctionnement de cette usine. Le transport par voie fluviale vers Gennevilliers est un mode de transport qui ne peut être écarté.
Alors que les alternatives au transport routier par la voie fluviale doivent être favorisées, en particulier pour les unités de traitement et de transfert à proximité des axes tels que la Seine et le canal de l’Ourcq, l’approvisionnement par voie routière doit être revu pour le projet de Gennevilliers. |
2.5. GES.
2.5.1. Unité de traitement.
La qualité de la collecte des biodéchets issus des ménages est importante à mesurer pour éviter les indésirables qui retourneront vers l’incinération et dévalueront l’impact du tri des biodéchets. Les biodéchets issus des tiers apporteront une part d’emballages très supérieure à celle des ménages. Cet impact doit apparaître dans l’évaluation des GES issus du processus mis en place à Gennevilliers.
L’étude d’impact (Tome-9/Partie-4) indique que les fuites de méthane pour l’ensemble de l’unité de Gennevilliers correspondent à 1% du méthane produit, avec une incertitude de 300%. Cette incertitude doit être levée pour une mesure concrète du méthane émis sur le site et la mise en œuvre des mesures adaptées pour réduire le taux annoncé de 1%.
2.5.2. Digestat.
Le digestat issu de la méthanisation contient encore de l’ammoniac et du méthane. Le compostage du digestat, pratiqué dans certaines unités de méthanisation, permettrait d’éliminer ces émissions. Pourquoi ce mode de traitement n’a-t-il pas été retenu sur le site de Gennevilliers, ou celui de Limay ?
2.6. Implantation de l’usine.
Le traitement des biodéchets au plus près de leur lieu de production est essentiel, en particulier pour éviter les nuisances liées au transport. L’implantation sur des sites déjà artificialisés est par ailleurs tout aussi essentielle dans l’application du ZAN (Zéro Artificialisation Nette). Le site d’HAROPA Port est tout à fait adapté à ce type d’activité.
2.7. Risques technologiques.
2.7.1. Avis de la BSPP (Préfecture de Police)
Le projet de méthaniseur se situe dans un environnement très dense de sites ICPE et SEVESO. Cette proximité doit être prise en compte, en particulier en fonction des effets « domino » associés à la présence des activités industrielles du port, du stockage de substances dangereuses, d’erreurs humaines ou actes de malveillance.
Après un premier avis défavorable la BSPP a émis un second avis favorable sur les bases suivantes.
Les modélisations réalisées pour l’étude de danger démontrent que des effets thermiques et de surpression sortent du site et atteignent la parcelle exploitée par la société Mazeau. Cependant, au vu de type d’activité exercée sur cette parcelle (tri de déchets inertes) et de sa densité d’occupation qui est moindre, la situation semble acceptable quant aux conditions d’intervention des sapeurs pompiers. Cet avis est toutefois subordonné au maintien en l’état des aménagements et de l’activité exercée par la société Mazeau.
Pour la BSPP
• Aucun effet domino interne ou extérieur au site n’est à redouter
• Les effets générés par les accidents majeurs retenus sont estimés acceptables selon la grille d’évaluation des risques qui tient compte des probabilités de survenue de tels accidents
2.7.2. Avis de l’Autorité environnementale.
Compte tenu de la configuration du site (surplomb du site par un viaduc routier à fort trafic) et de la nature des dangers (nuages de gaz toxique, inflammable ou explosif), il est nécessaire de considérer les zones de danger dans un espace à trois dimensions et non deux comme calculé dans l’étude d’impact. Une appréciation de la cinétique des phénomènes dangereux permettrait de mieux évaluer la vulnérabilité de certains enjeux et en particulier, des conducteurs des véhicules empruntant le viaduc, pour en déduire des mesures spécifiques de maîtrise du risque. La recommandation de l’Ae nécessitant de « déterminer les zones de danger dans un espace à trois dimensions centré sur l’unité de méthanisation et d’évaluer la cinétique des phénomènes dangereux considérés », n’a pas été fourni dans l’étude d’impact.
3. Impact financier du projet
3.1. Investissement
Le tableau ci-après fait une comparaison entre le projet de Gennevilliers et l’unité de traitement de la SEM (Société d’Economie Mixte) Sem’Soleil à Montbrison1.
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Figure-2 |
L’investissement à la tonne traitée est 46% moins élevé à Montbrison qu’à Gennevilliers, alors que le coût du MWh produit est pour sa part 73% moins élevé. Ces écarts de coût supportés par le service public doivent être explicités.
3.2. Coût pour les collectivités.
Le compte d’exploitation prévisionnel du projet (Figure-3) fait une différence entre le tarif appliqué aux biodéchets issus du SYCTOM et les biodéchets issus des tiers.
Ce tarif doit être changé pour favoriser la collecte par le service public. Le tarif facturé au SYCTOM ne peut être au dessus de celui facturé aux flux issus des tiers, qui par ailleurs sont pour la plupart préemballés, nécessiteront plus d’énergie pour le déconditionnement, génèreront plus d’indésirables.
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Figure-3 |
Par ailleurs :
En premier lieu alors que le SYCTOM traite à ce jour par incinération la quasi-totalité des OMR de Paris, des départements de Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine, la mise en œuvre de la collecte sélective des biodéchets a diversifié les opérateurs de collecte et de traitement par compostage ou méthanisation. Il n’y a aucune certitude pour affirmer que la part « captive » du SYCTOM sera entièrement traitée à Gennevilliers. En particulier ces nouvelles dispositions seront mises en concurrence avec les filières organisées à ce jour pour la collecte et le traitement qui garantissent des coûts de traitement inférieurs à 90€/tonne. Un déséquilibre entre les collectivités va s’installer qui ne peut être acceptable.
En deuxième lieu, en 2027 ce sont près de 28 000 tonnes de biodéchets des tiers qui seront traités sur l’usine de Gennevilliers :
• Aucune perspective n’est annoncée pour déterminer comment seront traités ces déchets à partir de 2031, alors que l’unité de Gennevilliers est particulièrement adaptée à leur traitement.
• Aucune perspective ne peut garantir que la loi du marché incitera les collectivités à faire traiter leurs propres déchets à Gennevilliers plutôt que sur les autres sites de traitement qui se seront développés à cette date, spécifiquement pour des motifs financiers.
• Aucune perspective ne permet d’affirmer que le mix « biodéchets du SYCTOM/flux tiers » ne persistera pas à Gennevilliers après 2031.
Le tarif facturé aux collectivités doit se rapprocher du tarif pratiqué par le SYCTOM pour l’incinération qui était de 103€/tonne en 20232 . Ce tarif doit tenir compte des alternatives déjà présentes sur le marché Francilien. |
FNE Ile de France émet un avis favorable à ce projet accompagné des préconisations suivantes : • Mieux mettre en œuvre le transport fluvial. • Mettre en place l’ensemble des moyens évitant les nuisances, en particuliers olfactives. • Adapter le tarif appliqué aux collectivités associé à la qualité de la collecte. • Il appartient aux collectivités de bien se mettre en ordre de marche pour atteindre les objectifs de collecte. |
Sources :
1https://montbrison.cvegroup.com/
2https://www.syctom-paris.fr/fileadmin/user_upload/37685_Syctom_RA_2023_et_Financier.pdf