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L’agriculture francilienne dans tous ses états

Publié le 18 novembre 2021

193 Moisson 242L’agriculture francilienne a fortement évolué depuis soixante-dix ans.
À cette époque, elle était dominée par une production céréalière sur les plateaux, la polyculture et l’élevage dans les vallées où se sont développés le maraîchage, les vergers et jusqu’à la culture florale. En 1955, l’agriculture représentait 17 680 exploitations d’une surface moyenne de 53,6 ha en Seine-et-Marne et 27,4 ha en Yvelines avec, respectivement, 179 et 119 salariés pour 100 exploitations. Déjà partiellement modernisée à cette époque, elle va ensuite muter rapidement. Dès lors l’agriculture vivrière déjà faible et le maraîchage vont s’estomper au profit des grandes cultures et de l’agrandissement des exploitations.

DES EXPLOITATIONS DE GRANDE SURFACE
DES CULTURES DOMINANTES SPÉCIALISÉES ET TRES MÉCANISÉES

Selon les statistiques 2020 du ministère de l’Agriculture, les surfaces agricoles utiles (SAU) représentent 593 000 ha, soit 49 % de la superficie francilienne, et les sols naturels, forêts et zones humides 354 000 ha, 24 %. Les productions et les industries agro-industrielles de cette région très agricole sont très loin de répondre aux besoins de ses 12,5 millions d’habitants.
C’est la politique agricole commune (PAC), à partir de 1960, qui a conduit à la forte spécialisation de notre région vers cinq secteurs dominants: céréales (blé, orge, maïs), oléagineux (colza, tournesol), protéagineux (pois, féveroles), betteraves et pommes de terre, élevage et maraîchage disparaissant presque complètement.

Le nombre d’exploitations a chuté de 73 % par rapport à 1955, les exploitants sont 4 789 pour 4 627 salariés en 2017. Les surfaces ont fortement augmenté, les grandes cultures font, en moyenne, 180 ha et les moyennes 73 ha.
Les exploitants n’en sont propriétaires que d’une faible partie en faire-valoir direct et louent donc près de 90 % des terres cultivées.
La déprise agricole et les successions ont morcelé les héritages, mais ont aussi permis d’échapper aux taxes foncières payées par le propriétaire.
L’agriculture bio, 5 % de la SAU actuellement, se développe trop doucement au regard des attentes des jeunes agriculteurs et des urbains chez qui la demande de produits bio augmente de 10 % au moins chaque année.
Les exploitations bio sont 565 pour 33 100 ha engagés en bio ou en conversion selon le Groupement des agriculteurs bio, soit 1 % des surfaces françaises de bio, ce qui les placent en dernière position, loin derrière l’Occitanie (22 %) la Nouvelle Aquitaine (13 %), l’Auvergne-Rhône-Alpes (12 %) et proche des Hauts-de-France (2 %).193 Agriculture francilienne 800

 

Les productions végétales des grandes cultures dominent largement l’agriculture francilienne. Elles sont très mécanisées et font appel à des quantités d’intrants importants d’engrais (azote-phosphate-potasse et autres) et pesticides (herbicides, fongicides et insecticides), raccourcisseurs de paille… Ces productions doivent répondre à des cahiers des charges fixées par les agro-industriels et la commercialisation tant dans la grande distribution que pour les exportations. Obtenir 8-10 tonnes de blé (grains), 12-15 tonnes de maïs (grains), 75 tonnes de betteraves (racines) ou 50 tonnes de pommes de terre (tubercules) par hectare ne peut se faire qu’avec de fortes quantités de ces intrants, selon les pratiques actuelles.

En revanche, les productions animales ont beaucoup régressé y compris dans les productions alimentaires pour les Franciliens concernant les viandes, les œufs et le lait. Ainsi des productions renommées comme les fromages de Brie (Meaux, Melun, Coulommiers, Nangis…), appellations d’origine protégée, s’étendent de la Brie à la Meuse, département qui en élabore la plus grande partie !

L’élevage est peu développé. Moins de 10 000 vaches laitières produisent environ 3 % de la consommation de lait de la région. Ce rapport décroît encore plus fortement pour les fromages et les produits laitiers frais (yaourt, fromage blanc, petit suisse…). Il en va de même pour la production de viandes issues des bovins, porcins, caprins, ovins et même des volailles.

 

UNE AGRICULTURE PEU CONSOMMATRICE D’EAU
MAIS FORTEMENT DÉPENDANTE DES FERTILISANTS
ET DES  PRODUITS PHYTOSANITAIRES

 La région francilienne n’est pas une région où se pratique l’irrigation intensive. Seuls 18 600 ha sont irrigués et, en 2017, ont consommé 21 millions de mètres cubes. L’élevage, peu représenté en Ile-de-France, et les divers traitements (pesticides) et épandage d’engrais liquide sont peu consommateurs d’eau. Le secteur agricole consomme un volume annuel inférieur à 25 millions de mètres cubes, soit 2 % de la consommation d’eau potable en Ile-de-France estimée à 1,2 milliard de mètres cubes.

Beaucoup d’idées fausses circulent à propos de la consommation d’eau par l’agriculture. En Ile-de-France, les céréales, les protéagineux et les oléagineux consomment une partie de l’eau de pluie pendant les mois où ils sont dans les champs, mais cette eau suit le grand cycle et retourne à 95 % dans les rus, rivières et nappes souterraines. Pour l’INRAE, la production de 1 kg de blé ou de maïs consomme respectivement 590 et 454 litres d’eau et pour 1 kg de viande de bœuf 550 à 700 litres.

En revanche, une révolution verte, relativement silencieuse pour le grand public, mais aux conséquences lourdes pour l’avenir s’est déroulée dès 1950 : le développement de la sélection végétale donnant des espèces plus résistantes et plus fertiles a conduit à l’utilisation massive des intrants agricoles : fertilisants chimiques (nitrates) ou extraits de couches géologiques (phosphates, potasse), végétaux hybrides tant en grande culture (maïs) qu’en maraîchage (tomates…) et, enfin, produits phytosanitaires (pesticides) destinés à éliminer les végétaux parasites des terres (adventices) et à protéger les cultures contre les champignons, les insectes et les limaces.

Le paysan, en quelques dizaines d’années, est devenu un exploitant agricole. Puis les acheteurs de produits agricoles ont élaboré des cahiers des charges rigoureux concernant la qualité et la quantité de certains constituants. Par exemple, la teneur en protéine du blé doit être au moins de 15 % afin de faciliter tous les processus technologiques de panification, de préparation de pâtes qui détruisent une partie de ces protéines qui forment la structure de notre pain ou baguette après cuisson. Une panification traditionnelle n’a pas besoin de plus de 8 à 9 % de protéines, ce qui permettrait de réduire fortement l’apport en engrais azotés.

Engrais et pesticides : entre nécessité et dangerosité
Dans une région où les fumiers animaux ont disparu, les engrais chimiques et minéraux apportent les constituants dont les végétaux ont besoin pour croître. En 2017, l’apport moyen d’azote (N), phosphate (P) et potasse (K) a été en kg/ha pour le blé tendre : N 150, P 50, K 50 soit 250 kg/ha ; pour le colza, ce sont les mêmes quantités tandis que pour la betterave c’est la potasse qui domine : N 80, P 60, K 120, soit au total 260 kg/ha. Répandus en plusieurs fois, ils permettent de répondre au mieux aux étapes de développement de la plante, mais aussi d’éviter que ces substances minérales ne s’échappent du champ par solubilisation dans l’eau de pluie et percolation.

Les pesticides sont utilisés pour maintenir, voire augmenter, les rendements qui pourraient fléchir sous les attaques parasitaires. Ces outils chimiques ont facilité le développement de l’agriculture conventionnelle et lui ont permis de limiter la quantité de travaux agricoles. Le revers de la médaille a été la baisse drastique du nombre de salariés, la trop grande confiance dans une chimie qui s’avère dangereuse pour l’environnement et les hommes, agriculteurs compris, et le peu de recherche de solutions alternatives.

 

PEU D’INCITATION AU RESPECT DE LA BIODIVERSITÉ
ET UN DÉVELOPPEMENT INSUFFISANT DU BIO

Hormis pour la protection des cours d’eau et divers rus avec les bandes enherbées de part et d’autre, les mesures agroenvironnementales concernant les enjeux biodiversité et nature sont peu contraignantes et laissées à la libre initiative de chaque exploitant. Des zones à enjeux découpent les quatre départements de la grande couronne en cinq parties : Biodiversité, Eau, Eau et Biodiversité, Eau-Biodiversité-Natura 2000 et Natura 2000. Chaque agriculteur de ces secteurs peut choisir les mesures qui lui conviennent.

Le second pilier de la PAC, relativement faible sur le plan financier, est le seul élément incitatif avec les conseils du ministère de l’Agriculture pour une transition agronomique respectueuse de l’environnement.

Le revenu agricole à l’hectare pour les grandes cultures peut être approché via le plan comptable agricole (Agreste 2020). Selon la chambre d’agriculture, le chiffre d’affaires de l’agriculture francilienne approche le milliard d’euros. Ce chiffre est faible comparé à celui des régions voisines : Bretagne, Hauts-de-France, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est et Normandie à égalité, respectivement, 8,6, 6,5, 5,3 et 4,4 milliards d’euros, mais pour un nombre d’exploitations franciliennes et une SAU totale bien plus faible.

 

DÉVELOPPER LES FERMES BIO
POUR UN MARCHÉ TRES DEMANDEUR

 Les exploitations engagées en certification bio représentent 9,4 % des exploitations agricoles de la région. 63 % des surfaces bio sont en grandes cultures comparés à 82 % pour les fermes conventionnelles. Les surfaces de fourrages et prairies permanentes représentent 22,4 % en bio contre 4,1 en conventionnel en raison de leur utilisation pour la rotation des cultures.

En 2019, on recense 437 chefs d’exploitation, dont 70 femmes et 670 salariés. Les fermes bio emploient 1,5 fois plus de salariés que les conventionnelles (2,5 emplois en bio par ferme contre 1,6 en conventionnel). De même les chefs d’exploitation sont plus jeunes qu’en conventionnel.

La surface moyenne des fermes bio* est de 59 ha et en constante augmentation depuis quelques années. En Seine-et-Marne, les fermes bio représentent près de 40 % des exploitations de la région. En Ile-de-France, on recense 169 fermes bio en grande culture, 157 en légumes, 41 en arboriculture, 34 en légumes et prairie et 13 exploitations consacrées aux abeilles (1 059 ruches).

*Données Agreste 2020 et Observatoire régional de l’agriculture biologique piloté par le Groupement des agriculteurs bio d’IdF.

193 Agriculure bio franicilenne 800

 

 

L’agriculture biologique protège les captages d’eau potable. Près de 60 % des fermes bio (257) sont installés sur des aires d’alimentation de captage d’eau, soit 14 729 ha protégées par des pratiques non polluantes.
Les fermes bio franciliennes jouent un grand rôle dans l’approvisionnement alimentaire régional : vente directe à la ferme, marchés bio, de coopératives, restaurations collectives et AMAP, en produits de qualités. Mais devant un marché aussi important tant par la population que par les 50 millions de touristes annuels, la production locale est largement insuffisante. Sa progression et l’intérêt de jeunes pour développer de la production locale de qualité est un bon signe.

Les idées fausses sur l’agriculture
Trop d’eau, trop d’émission de gaz à effet de serre, trop de surfaces utilisées pour la production animale. Telles sont les principales idées émises pour stigmatiser l’agriculture. À ces trois affirmations s’ajoute le fait que l’alimentation humaine à base de produits animaux devrait être remplacée par une alimentation majoritairement végétale.

Les associations de protection de l’environnement prennent en compte les avancées des connaissances. Nous avons vu ce qu’il en était pour la consommation d’eau.

Pour ce qui est des émissions agricoles de gaz à effet de serre déterminées par la FAO, qui seraient plus élevées que celles des transports relevés par le GIEC, AIRPARIF, en 2018, a évalué les émissions de GES des différents secteurs d’activité franciliens. L’agriculture émet 2 % des GES contre 32 % pour les transports : routiers, ferroviaires, fluviaux et aériens. Sans entrer dans une controverse, ces résultats franciliens s’expliquent par la disparition de l’élevage, mais aussi par la sous-estimation des transports qui ne prend pas en compte leur cycle de vie.

Pour ce qui est de l’alimentation mixte carnée/végétale à remplacer par une alimentation totalement végétale, l’INRAE indique que les surfaces de terres arables de la planète n’y suffiraient pas. Plus de 70 % de l’alimentation des animaux de ferme (bovins, ovins, caprins, lapins, volailles) n’est pas consommable par l’homme et ces élevages utilisent des terres où les cultures vivrières pour l’homme sont très difficiles.

VERS L’AGRICULTURE DE DEMAIN
CULTURES ÉNERGÉTIQUES ET MÉTHANISEURS À LA FERME

Le paysan francilien est devenu un entrepreneur, ce qui le conduit à spéculer sur les activités les plus rentables pour lui. Il est bien formé. En effet, l’enquête de la DRIAF de 2010 indique que 25 % des chefs d’exploitation ont suivi un enseignement secondaire long, que 30 % d’entre eux ont un cursus de type BTS ou ingénieur. Toutefois, l’âge moyen de cet entrepreneur dépasse 50-55 ans, ce qui est l’âge moyen de près de 50 % des agriculteurs franciliens.

La conséquence est que la déprise, vente ou location de terres arables est importante avec, à la clé, une augmentation de la taille des fermes. Le rythme de départ atteint environ 3 % par an. Les agriculteurs cèdent majoritairement à leurs voisins et non à des jeunes voulant s’installer.

Cet entrepreneur tend à devenir un quasi-industriel du fait de l’extension de ses surfaces cultivées, de la diversité des cultures qui ne sont pas toutes destinées à l’alimentation (lin, chanvre, cultures à vocation énergétique, betteraves pour la fabrication d’éthanol…). Toutefois, il s’associe de plus en plus avec ses voisins tant pour la gestion des terres que pour l’achat et l’utilisation de matériels (EARL, SCEA, GAEC…).

L’implantation des méthaniseurs agricoles actuellement tend à le faire passer dans la catégorie industrielle, mais aussi amplifie les associations avec ses voisins agriculteurs pour la gestion du process et l’épandage des produits sortant de l’appareil.

Le plan « Méthanisation à la ferme » du conseil régional prévoit l’implantation de 150 méthaniseurs. Seule une trentaine sont en fonctionnement ou en projet : 28 en Seine-et-Marne, 2 en Yvelines, 4 en Essonne et 3 sont en projet dans le  Val-d’Oise. Tant que ces méthaniseurs utilisent comme intrants des sous-produits agricoles ou des cultures intermédiaires à vocation énergétique et que les digestats permettent d’amender les cultures, les aspects environnementaux sont respectés.
Cependant, les nuisances environnementales (odeurs, pollutions de l’eau, bruits des transports…) peuvent être fréquentes, ce que les riverains sont de plus en plus réticents à supporter.

Le monde agricole a vécu des siècles de stabilité, troublé uniquement par les aléas climatiques et les guerres. Il se trouve aujourd’hui confronté à des mutations rapides, liées aux marchés agricoles et à l’amplification des aléas climatiques. La modernisation au pas de charge de l’agriculture via une mécanisation importante et une chimie débordante a vidé de sa substance les contacts de l’homme et la nature. La diminution du nombre de personnes en relation avec les terres agricoles fragilise à court terme cette filière.
L’avenir du paysan francilien est confronté à la vitesse des départs sans succession.
Cependant, les besoins des consommateurs urbains en produits agricoles de qualité et proche de leurs lieux d’habitation permettent de faire renaître une culture du maraîchage et favorisent l’essor de la production bio.
Un espoir pour soutenir le maintien de la population en zone rurale, voire l’installation de nouveaux arrivants.

 

Dossier réalisé par Michel RIOTTOT
Président d’honneur de FNE Ile-de-France

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