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Pourquoi trier les biodéchets ?

Publié le 22 avril 2024
Les biodéchets, ou déchets biodégradables, représentent près d’un tiers du volume de nos poubelles. Ils sont constitués de déchets de cuisine tels qu’épluchures de fruits ou légumes, restes de repas, mais également d’aliments encore comestibles. Ce sont ainsi 80 kg à 90 kg par an et par habitant qui sont destinés à l’incinération ou à l’enfouissement, alors que cette matière organique et biodégradable constitue une valeur potentielle comme amendement des sols. Le gaspillage alimentaire est à lui seul de l’ordre de 20 kg à 30 kg et par an et par habitant.

Les différentes lois élaborées depuis les lois Grenelle jusqu’aux obligations de tri à la source pour tous au 1er janvier 2024 tentent de rendre nos pratiques enfin responsables du respect de notre planète.

Les effets néfastes provoqués par les biodéchets de la poubelle « grise » sont pourtant bien connus. L’incinération des déchets produit du dioxyde de carbone (CO2) et bien d’autres particules nocives, alors que l’efficacité énergétique de la combustion des biodéchets, majoritairement composés d’eau, est dérisoire dans un incinérateur. Pour sa part, la mise en décharge des déchets ménagers produit du méthane qui a un potentiel de réchauffement global près de trente fois supérieur au CO2.

Le non-respect de l’échéance du 1er janvier 2024 pour le tri à la source des biodéchets montre cependant que discours et actes ne sont pas toujours en accord.

Les limites et insuffisances de la réglementation

Le 6 décembre 2023, le ministère de la Transition écologique a publié un avis encourageant les collectivités à privilégier la collecte en porte à porte quand elle est possible, ainsi que les points d’apports volontaires, là où la distribution de composteurs individuels ne peut être envisagée que comme une solution d’appoint.

La publication de ce simple avis est particulièrement inefficace là où un texte réglementaire contraignant était attendu. Face à la paresse des collectivités à se saisir des lois qui imposent le tri à la source des biodéchets, il est nécessaire de fixer les mesures permettant de préciser comment ce tri à la source doit être assuré, avec des objectifs quantitatifs clairs de détournement des biodéchets de la poubelle d’ordures ménagères résiduelles. Sans obligations de moyens et de résultats assurant la mise à disposition des citoyens de solutions de collecte séparée des biodéchets, cette mesure cruciale pour la réduction des déchets mis en décharge ou incinérés restera incantatoire.

Les modalités d’application de l’obligation doivent être précisées par l’adoption d’un texte réglementaire précis.
Des seuils quantitatifs de détournement des biodéchets de la poubelle d’OMr (ordures ménagères résiduelles) doivent être fixés.
Le milieu associatif propose de déterminer une baisse progressive du poids de biodéchets dans les ordures ménagères résiduelles, avec un indicateur de résultat qui pourrait être 39 kg/habitant/an en 2026 ; 29 kg/habitant/an en 2030 ; 12,9 kg/habitant/an en 2035.

La garantie de ce suivi de l’action des collectivités et la transparence à l’égard des citoyens imposera aux collectivités la réalisation d’études de caractérisation périodique sur la quantité de biodéchets toujours présents dans les ordures ménagères résiduelles. Seul ce processus permettra de quantifier la progression du tri à la source des biodéchets, son évolution dans le temps, la volonté politique de répondre aux défis imposés par le dérèglement climatique.

Historique et réglementation

Définition du biodéchet (article R. 541-8 du code de l’Environnement) :
« Tout déchet non dangereux biodégradable de jardin ou de parc, tout déchet non dangereux alimentaire ou de cuisine issu notamment des ménages, des restaurants, des traiteurs ou des magasins de vente au détail, ainsi que tout déchet comparable provenant des établissements de production ou de transformation de denrées alimentaires. »

Depuis le tri à la source et la valorisation des biodéchets imposés aux gros producteurs dès 2010, les lois de 2015 et de 2020* vont conduire aux dispositifs à mettre en place au 1er janvier 2024 pour un tri séparé des biodéchets qui s’impose à tous. 

La loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle 2, codifiée à l’article L. 541-21-1 du code de l’Environnement, prévoit que les personnes qui produisent ou détiennent une quantité importante de biodéchets sont tenues d’en assurer le tri à la source en vue de leur valorisation organique. Cette obligation de tri consiste à ne pas mélanger les déchets organiques avec les autres déchets (emballages par exemple).

L’arrêté du 12 juillet 2011 a fixé les seuils de production au-delà desquels les émetteurs sont tenus de trier et traiter ces biodéchets.
Les principaux producteurs concernés sont la restauration collective, la restauration rapide, la plupart des marchés alimentaires, les établissements publics (collectivités, hôpitaux), les industries agroalimentaires.

*Loi no 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. Les grands principes de la hiérarchie des modes de traitement des déchets issue de la directive cadre 2008/98/CE sont réaffirmés, leur contenu est précisé et des objectifs quantifiés y sont ajoutés (prévention des déchets, valorisation matière, tri à la source des biodéchets, tarification incitative, valorisation des déchets du BTP, réduction de la mise en décharge, valorisation énergétique).

*Loi AGEC et ordonnance du 29 juillet 2020 relative à la prévention et à la gestion des déchets fixent de nouvelles obligations : au 1er janvier 2023 l’obligation de tri à la source pour les producteurs est étendue à tous ceux qui produisent plus de 5 tonnes par an. Au plus tard, le 31 décembre 2023, cette obligation s’applique à tous les producteurs ou détenteurs de biodéchets, y compris aux collectivités territoriales dans le cadre du service public de gestion des déchets et aux établissements privés et publics qui génèrent des biodéchets. 

Les plans et programmes réglementaires 

La planification relative à la prévention et à la gestion des déchets intervient dans le cadre de la loi no 2015-991 du 7 août 2015 portant Nouvelle Organisation territoriale de la République (dite loi NOTRe) dont l’article 8 prévoit que chaque Région doit désormais être couverte par un Plan régional de prévention et de gestion des déchets (PRPGD).

Dans le cadre du PRPGD, la collecte et le traitement des déchets ménagers et assimilés (DMA) de même que les déchets des activités économiques (DAE) sont traités de manière spécifique.
 

En premier lieu, un potentiel de collecte a été évalué par le PRPGD.
Pour les déchets ménagers et assimilés (DMA) : le potentiel brut a été calculé à partir des données de l’ORDIF, portant sur les données 2015 et évaluant à 28 % les déchets putrescibles dans les OMr (Ordures ménagères résiduelles) (parmi lesquels 18 % sont des déchets verts).

Le gisement brut de biodéchets restant dans les DMA en Ile-de-France est estimé à 875 000 tonnes par an, soit 73 kg / hab./an.

Or, la diversité de la Région Ile-de-France, notamment la présence de zones très denses, avec de très forts taux d’habitat vertical, ou très touristiques, a un impact sur la composition des déchets ménagers qui y sont produits. De même, le potentiel brut de biodéchets est directement lié aux schémas de collecte des déchets.

Le gisement brut de biodéchets produit par les activités économiques en Ile-de-France et collectés hors SPGD est estimé à 235 000 tonnes.

En deuxième lieu, après les actions de prévention et en appliquant un taux de captage réaliste, pour les DMA le PRPGD estime les quantités collectables à 19 kg/habitant en 2015 et 33 kg/habitant en 2031. 

Le programme local de prévention des déchets ménagers et assimilés (PLPDMA) organise localement une planification qui vise à coordonner les actions des pouvoirs publics et des organismes privés pour prévenir et gérer les DMA. Il précise notamment les objectifs de réduction des quantités de déchets et les mesures mises en place pour les atteindre.

Selon l’article L541-15-1 du code de l’Environnement, les collectivités territoriales responsables de la collecte ou du traitement des DMA devaient définir, au plus tard le 1er janvier 2012, un PLPDMA indiquant les objectifs de réduction des quantités de déchets et les mesures mises en place pour les atteindre.
Ce programme doit faire l’objet d’un bilan annuel afin d’évaluer son impact sur l’évolution des quantités de DMA collectés et traités.
Le PLPDMA est mis à la disposition du public ainsi que les bilans annuels d’évaluation.

Parmi les principaux objectifs de prévention du PRPGD, il était préconisé que la couverture de la Région Ile-de-France pour la mise en place des PLPDMA, soit complète en 2020.

Bilan des actions entreprises au 31 décembre 2023


Les dernières études de l’ORDIF (Observatoire régional des déchets de la Région Ile-de-France) publiées en décembre 2023 dressent un bilan de la performance de tri des biodéchets établies fin 2022. Seules 10 516 tonnes ont été collectées par le service public en 2022, pour 3,32 millions tonnes d’OMr, soit moins d’1 kg/habitant, très loin des objectifs du PRPGD.

Pour 2023, le rapport de suivi du PRPGD montre également la lenteur de la mise en place de la collecte séparée des biodéchets alimentaires des ménages ; six collectivités s’étaient engagées dans cette démarche en 2021, elles étaient douze en 2022, et seulement quatorze en 2023.

De la même manière, selon l’ORDIF, à fin 2023, 93 % de la population est couverte par un PLPDMA adopté ou en cours, soit 57 % des collectivités, loin des objectifs de 2020.
Une analyse rapide des sites Internet des territoires de la MGP démontrent que seuls six territoires mettent à disposition du public un PLPDMA, en cours d’élaboration ou déjà adopté : T3-Grand Paris Seine Ouest, T4-Paris Ouest la Défense, T6-Plaine commune, T7-Paris Terres d’Envol, T9-Grand Paris Grand Est, T12-Grand Orly Seine Bièvre. La prise en compte du tri à la source des biodéchets est par ailleurs très hétérogène et peu concrétisé dans ces PLPDMA.

Enfin, les collectivités ne favorisent pas la transparence sur la qualité du service public par une diffusion très tardive des rapports d’activité (rapport annuel sur le prix et qualité des services publics / RPQSP) permettant de mesurer la performance du service public et d’évaluer les perspectives correspondant en particulier aux nouvelles réglementations.
Les derniers RPQSP disponibles sur le site de l’IPR ne donnent dans la majorité des cas accès qu’aux données de 2021, ce qui est très dommageable alors que l’exercice 2024 est déjà bien entamé.

Les moyens mis en œuvre au 1er janvier 2024

Il peut être hasardeux de comparer les moyens mis en œuvre par les collectivités pour éviter incinération et enfouissement des biodéchets tant les problématiques de la petite couronne de l’Ile-de-France comparées à celles de la grande couronne et ses communes rurales doivent être approchées de manières différentes.

Cependant une analyse rapide des engagements pris par les collectivités dans leurs projets à court terme ou plus simplement par la consultation des calendriers de collecte auxquels doivent se plier les habitants au 1er janvier 2024 montre un retard qui repousse très loin le retour au sol de la matière organique de nos OMr.

La solution de facilité incitant au compostage individuel ou partagé est bien sûr de mise sur toute la Région, mais notoirement insuffisante pour capter les volumes annoncés dans le diagnostic du PRPGD.
Sur la MGP (Métropole du Grand Paris), la collecte en PAV (point d’apport volontaire) est favorisée en particulier sur Paris et les EPT Vallée Sud Grand Paris, Plaine commune, Est Ensemble, Paris Est Marne et Bois. Est Ensemble pour sa part se montre l’EPT la plus avancée sur la collecte en porte à porte, collecte favorisée par l’impact du prestataire de collecte Moulinot, acteur essentiel du paysage de la gestion des biodéchets en Ile-de-France. 

Pour les départements de la grande couronne, les expérimentations sous le régime du volontariat mises en œuvre par le SIOM de la vallée de Chevreuse et le SMIRTOM du Vexin devraient favoriser, en 2025, les extensions progressives à l’ensemble du territoire de ces syndicats.
Pour la communauté Cœur d’Essonne Agglomération, l’expérimentation de collecte mutualisée OMr/biodéchets par le SIREDOM devra démontrer son efficacité quant à la qualité du compost après méthanisation.
La collecte en PAV a été choisie par le SIETREM et le SMITOM-LOMBRIC en Seine-et-Marne, alors que la communauté d’agglomération Saint-Germain-Boucles de Seine favorise également ce mode de collecte en sécurisant l’accès aux bornes à l’aide d’un accès par badge.

Cas 1 : 
Milan (Italie) : collecte des biodéchets exemplaire. 
À Milan, le tri des biodéchets a été mis en œuvre dès 2012. Très vite, l’obligation s’est imposée au 1,3 million d’habitants, aux activités commerciales, aux marchés municipaux. En 2019, 110 kg par habitant ont été collectés, contre une moyenne européenne de 18,8 kg. Une partie des biodéchets est ensuite transformée en engrais ou en énergie.
Chaque immeuble est équipé d’un bac pour les biodéchets, la collecte étant réalisée en porte à porte. Les processus de collecte ont été accompagnés par une forte campagne d’information, jusqu’aux arrêts de bus. La collecte est quotidienne pour les restaurants et les hôtels, elle est de deux fois par semaine chez les habitants qui assurent que « on ne peut rien faire contre les entreprises polluantes, mais au moins, avec le tri, on a l’impression d’avoir une possibilité d’agir ».
Cas 2 : 
Romainville (93) : préfiguration de la collecte des biodéchets sur le marché alimentaire.
Sensibilisation des commerçants, éclairage des élus, mesure de l’impact de la démarche de tri à la source, étaient les principaux objectifs associés à cette démarche, alors que la législation impose, depuis 2012, aux gros producteurs de biodéchets une obligation de les trier et d’en assurer la valorisation organique
L’association Environnement 93 et ses adhérents, ont décidé d’expérimenter l’organisation de cette obligation. Pour cette opération, l’entreprise Moulinot SARL s’est également impliquée pour livrer un bilan concret sur les méthodes et les moyens à mettre en place pour la pérennisation de ce type d’action.
Cette initiative, inscrite dans le cadre de la Semaine européenne de réduction des déchets, a permis une communication auprès des clients du marché pour la promotion du compostage domestique et d’une évolution de nos pratiques de tri vers une valorisation de tous nos déchets organiques par la mise en place d’une collecte dédiée. 
La collecte de 510 kg de matière organique a bien démontré la nécessité de ce type de collecte qui préfigure une collecte entre 50 et 80 tonnes de biodéchets par an.
Cas 3 : 
Interventions sur les marchés
Gaz réseau distribution France (GRDF), FNE Ile-de-France et l’association Pik Pik Environnement conduisent, depuis 2022, des actions de sensibilisation des commerçants sur les marchés parisiens. L’objectif est de rappeler les usages possibles des biodéchets : méthanisation, compostage. D’identifier les freins à la collecte et d’impulser une dynamique. Une première intervention sur le marché de la Réunion, dans le vingtième arrondissement, a permis d’affiner la démarche. L’intervention sur le marché Brune, dans le quatorzième arrondissement, a donné lieu, en plus de la visite des commerçants sur leurs stands, à une réunion de formation. L’implication forte de l’adjointe en charge de l’environnement dans l’arrondissement a même permis d’élargir le champ et de reparler de l’usage des sacs plastiques… D’autres interventions sont prévues, dans le douzième arrondissement et en Seine-Saint-Denis.
Cas 4 :
Montpellier : Un retour à la raison des collectivités 
La Métropole de Montpellier avait investi dans des technologies censées la dispenser de toute ambition de tri à la source des ordures ménagères par une usine de TMB (tri-mécano- biologique). Odeurs nauséabondes, compost de mauvaise qualité ont rapidement montré les limites de cette usine. Pour l’ADEME, « le tri-mécano-biologique est coûteux et complexe et produit un compost de qualité hasardeuse, qui pose un problème d’acceptation sociale ». La plus grande usine de TMB de France a ainsi dû amorcer, dès janvier 2021, un tournant majeur en installant une station de compostage qui traite les biodéchets collectés en porte à porte. Le développement du tri à la source des biodéchets condamne ainsi toutes les usines de ce type comme celle du SIVOM à Varennes-Jarcy.

Francis REDON

Expert déchets de FNE Ile-de-France

Président d’Environnement 93

Cette article est issu du Liaison n°202 - biodéchets : quelle collecte pour quelle valorisation : Consulter le Liaison 202.

 

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