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Ne pas mettre la charrue avant les boeufs

Publié le 15 octobre 2020

De nombreuses voix se lèvent pour que « le monde d’après » ne reproduise pas celui « d’avant ». En effet, la crise sanitaire est le révélateur de dysfonctionnements et de fragilités dans l’organisation des mobilités, elles-mêmes induites par un aménagement du territoire francilien à repenser.
Aspect positif : le vélo et la marche à pied en sortent pour l’instant gagnants.

FNE Ile-de-France a créé un nouveau groupe de travail sur ce thème. L’aménagement de la région est  devenu si complexe qu’il nous faut coordonner nos actions face aux atteintes à l’environnement produites par tous types de déplacements (mobilité active, covoiturage, transports ferroviaires, aériens…). Des textes de lois tentent désespérément de corriger les effets collatéraux des projets de transports, comme la Loi d’orientation des mobilités (loi LOM). Aucune ne correspond vraiment aux attentes des Franciliens, confrontés chaque jour à la « galère des transports », notamment pour les liaisons domicile-travail. La LOM définit plusieurs objectifs louables, dont l’amélioration de la gouvernance des mobilités sur les territoires et un accès pour tous aux services ; une réduction de la place de la voiture, avec la promotion de modes alternatifs plus propres (un objectif de triplement de l’usage du vélo d’ici 2024).

La mobilité face aux enjeux du monde d’après

Au-delà des bonnes intentions, nous pouvons nous interroger sur leur mise en œuvre. Les documents d’urbanisme abordent la problématique de la mobilité : on y traite tous les aspects de l’organisation de la ville. Il s’agit de repenser l’articulation des fonctions, redessiner et dynamiser l’espace à partir du cœur de ville, limiter les déplacements et répondre aux enjeux environnementaux. La mobilité doit être un vecteur de lien social et non un obstacle pour l’accès aux services et à l’emploi. Mais constatons que les parties prescriptives des outils tels que SDRIF, SCoT ou PLU(i) ne sont guère adaptées aux problématiques soulevées par la LOM. Un fossé sépare intentions et réalités vécues.

Une vision écologique en trompe-l’œil

Dans une récente interview[1], le président du directoire de la Société du Grand Paris (SGP), Thierry Dallard, affirme que le Grand Paris Express (GPE) sera « la clé de voûte de la mutation écologique et urbaine de la métropole parisienne ». Il fait le pari que, grâce à une densification de l’urbanisation autour de ses gares, le GPE va diminuer l’étalement urbain et la consommation d’espaces naturels et agricoles, et que tout Francilien, se trouvant ainsi à moins de 2 km d’une gare, va pouvoir traverser la région de part en part, sans pollution automobile.

Or, tous ces postulats reposent sur des illusions.

  • L’illusion du Grand Paris comme un vaste bassin d’emploi unique

Les initiateurs du Grand Paris conçoivent la région capitale comme un grand bassin d’emploi unifié, irrigué par un réseau de transport permettant de joindre n’importe quel lieu de travail depuis tout lieu de domicile. Une vision tout à fait irréaliste, compte tenu de l’échelle beaucoup trop vaste de la mégapole francilienne. Ce schéma engendre un vaste mouvement brownien avec 45 millions de déplacements quotidiens, qui augmente de 300 000 flux/jour chaque année ; c’est aussi un formidable vecteur de propagation de virus !

  • L’illusion de la maîtrise de l’étalement urbain

Pour crédibiliser sa thèse qu’elle va juguler l’étalement urbain, la SGP raisonne comme si la ville était parfaitement statique. En réalité, les ménages se relocalisent plus loin en périphérie lorsqu’un nouveau « tuyau » capacitaire (route ou transport collectif, radial ou tangentiel) est mis en place, profitant de la vitesse de déplacement accrue pour augmenter la portée de leurs déplacements. Cela entraîne mécaniquement l’étalement urbain (la périurbanisation) et une plus forte spécialisation de l’espace, tant fonctionnelle (concentration excessive des emplois[2], séparation accrue des lieux d’activité et de résidence) que sociale (les plus modestes rejetés davantage en périphérie).

  • L’illusion de la densification autour des gares

À travers la forte corrélation entre densité et surmortalité, la crise sanitaire a montré les effets pervers de la mégapolisation. Or, la SGP attend du GPE une densification du bâti, imaginant que les usagers vont spontanément s’agglutiner autour des gares. Pourtant, une gare est rarement un lieu de destination, c’est avant tout un lieu de dispersion.

De fait, densité et vitesse de déplacement finissent par être antagonistes. L’impact de la densification sur les volumes de constructibilité est contrarié par une inévitable majoration du coût de la construction. Si les interventions sur le prix du foncier[3] peuvent limiter les dégâts, la hausse des coûts de l’habitat incitera une partie de la population nouvellement desservie à migrer vers des territoires plus éloignés – aggravant donc l’étalement urbain –, soit le contraire de l’objectif poursuivi : une dédensification.

L’impérieuse nécessité de changer de paradigme

Mobilités et aménagement urbain étant étroitement imbriqués, il est vain de croire qu’une infrastructure de transport est capable d’engendrer mécaniquement l’aménagement souhaité. Le pouvoir structurant du marché de l’immobilier est bien plus puissant.

La démarche du Grand Paris suit la tendance des mégapoles à multiplier sans cesse les infrastructures de transports rapides, alimentant ainsi un cercle vicieux aggravant l’étalement urbain et la ségrégation sociale.

Pour sortir de cette impasse, la région parisienne devrait s’organiser de façon polycentrique autour des espaces socio-économiques existants dont on optimise l’autonomie pour en faire des « zones cohérentes » (ou « zones intenses »), où se recoupent bassin d’emploi et bassin de main d’œuvre[4]. Il importe d’y améliorer les dessertes de proximité internes au lieu de chercher à « arrimer les territoires les uns aux autres »[5] par des liaisons de transit. Ainsi, les besoins de transports sont réduits à la source, d’où des distances domicile-travail minimales.

Car la meilleure mobilité est celle qu’on évite !

Jacqueline Lorthiois
Urbaniste socio-économiste

Jean-Pierre Moulin
Président d’Essonne Nature Environnement

Harm Smit
Coordinateur du Collectif OIN Saclay

 

[1]Th. Dallard : « Nous nous préparons à la reprise progressive des chantiers », Le journal du Grand Paris, 9 avril 2020,

[2]En 2013, 19 communes (sur 1274) concentraient la moitié de l’emploi. Voir aussi : Jacqueline Lorthiois, Harm Smit, Les écueils du Grand Paris Express, Métropolitiques, juin 2019.

[3]Notamment via l’Établissement public foncier de la région Île-de-France (EPFIF).

[4]Le bassin de Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines est un cas d’école de zone cohérente : plus de la moitié des actifs y travaillent dans le même bassin. Voir la présentation de Jacqueline Lorthiois De Versailles à Orly – Caractéristiques du/des territoire(s), 2017.

[5]Expression de Christian Blanc  dans Le Grand Paris du XXIe siècle, éd. Le Cherche midi, 2010.

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