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Climat, Air & Energie

Nucléaire : Des opinions inconciliables

Publié le 22 février 2023

France Nature Environnement Ile-de-France a organisé un débat le 23 janvier 2022 à l’Académie du Climat avec la participation de Yves Marignac de l’association Négawatt et Sylvaine Dhion de The Shifters, sous la supervision de la Commission Nationale du Débat Public. Revenons sur les enseignements principaux de ce débat constructif qui a mis en évidence la difficulté de concilier les deux positions défendues par les intervenants. 

    Les informations qu’on a trouvé les plus marquantes

    Yves Marignac, Négawatt, critique la construction de réacteurs nucléaires.

    Négawatt s’appuie sur l’utilisation exclusive de l’énergie renouvelable. L’énergie nucléaire est intrinsèquement moins soutenable que les énergies renouvelables électriques. Un système électrique 100% renouvelable est développable à l’horizon 2050, confirmé par le RTE, l’Agence Internationale de l’énergie et l’ADEME. Les énergies éoliennes et photovoltaïques sont plus rapides, fiables et moins coûteuses à produire que l’énergie nucléaire. L’énergie nucléaire épuiserait le stock d’uranium, son utilisation impliquerait un risque intergénérationnel lié aux matières et déchets accumulés, un risque territorial majeur lié à l’accident nucléaire et un risque géopolitique lié à la sécurité et à la prolifération.

    Le scénario Négawatt comparé au programme du gouvernement :

    Négawatt propose des solutions dont les coûts sont compétitifs, assurés et orientés à la baisse face à des coûts non compétitifs incertains et à la hausse. C’est un scénario de réduction progressive des risques de sûreté et de sécurité face à l’exposition à des risques avec un programme EPR où les matières et déchets sont accumulés.

    Sylvaine Dhion, The Shifters, Pronucléaire

    2400 Gigatonnes de CO2 ont été rejetés dans l’atmosphère depuis 1850, ce qui se traduit par une élévation de la température d’1,3°C. L’objectif de la COP21 est de rester à une augmentation inférieure à 2°C à l’horizon 2100. 80% de l’énergie consommée dans le monde est issue de ressources fossiles. Pour supprimer cette consommation d’énergie, il va falloir de la sobriété, de l’efficacité, des énergies décarbonées, du renouvelable et du nucléaire. Il faut activer tous les leviers pour y arriver.

    En Europe, une centaine de réacteurs ont été construits, 10 pays continuent à l’utiliser et 10 ne souhaitent plus l’utiliser. En Suède, à la suite d’un changement d’alliance politique, le nucléaire a été relancé en 2017, et de nouvelles constructions sont prévues. En Finlande, la ligue verte a renoncé à sa position anti-nucléaire après avoir lu les rapports du GIEC. Les énergies fossiles ont été délaissées au profit de l’énergie nucléaire.

    Les points sur lesquels nous sommes tombés d’accord 

    Sylvaine Dhion :

    Objectifs communs du Shift Project et de Négawatt :

    • La décarbonation est une priorité. L’usage de l’énergie nucléaire permet d’éviter 1 Gigatonne d’émission de CO2/an, d’après Greenpeace.

    • La sobriété et l’efficacité énergétique. Les objectifs de sobriété sont validés cependant il existe un risque important de ne pas atteindre l’objectif de sobriété souhaité.

    • Le développement massif des énergies renouvelables.

    • La prolongation des réacteurs existants à condition que la sécurité et la sureté ne soient pas entravées.

    • L’électrification de nos usages énergétiques, notamment dans le bâtiment et les transports.

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    Les points sur lesquels nous ne sommes pas d’accord

    Sylvaine Dhion, The Shift Project :

    • Le Scénario Négawatt s’appuie sur la production d’énergie renouvelable, avec un rythme de construction important. Les scénarios sans nucléaire comme celui du Réseau de Transport d’Électricité demandent un rythme de construction de renouvelables plus élevé que les pays les plus dynamiques, il faudrait construire plus vite que l’Allemagne et le R-U, c’est un pari technologique très lourd pour l’objectif de décarbonation en 2050. Le scénario du Shift Project inclut la production d’énergie renouvelable et d’énergie nucléaire. Selon l’UNECE, branche locale de l’ONU on ne peut pas faire de transition sans nucléaire. D’après RTE, les scénarios sans nucléaires sont plus chers, ils coûtent 10 milliards de plus qui seraient investissable ailleurs.

    • Les énergies renouvelables sont intermittentes, elles doivent être compensées avec une énergie pilotable : du gaz biomasse. Cependant le gaz biomasse n’est pas infini, 20 mégatonnes de pétrole de biomasse seront disponibles en 2050, les énergies doivent être disponibles pour compenser le nucléaire.

    Yves Marignac, Négawatt :

    • Le scénario RTE, qui envisage la construction d’EPR est certes 10 milliards moins onéreux que les scénarios sans nouveaux réacteurs, notons que cet écart est beaucoup plus faible que le niveau d’incertitude des calculs. Cependant, l’hypothèse retenue par RTE d’un coût du capital de 4% identique pour les EnR et le nucléaire n’est pas réaliste. Plus un projet comporte d’incertitudes, et c’est le cas de la construction des EPR, et plus les financiers vont exiger un taux élevé d’emprunt. Les scénarios de transition énergétique tablent plutôt sur un coût du capital de 7% en ce qui concerne le nucléaire, et non de 4%. Dans ce cas, le scénario 100% renouvelable est plus économique.

    • L’utilisation exclusive d’énergie renouvelable va mieux fonctionner que l’utilisation du nucléaire. Il ne faut pas réduire la priorité du climat à la seule question du climat et laisser de côté les enjeux sociétaux, politiques et éthiques.

    • Il ne faut pas activer tous les leviers, il faut activer les leviers les plus efficaces, le nucléaire ne fait pas partie de cela.

    Les questions qu’on aimerait poser

    À un.e expert.e :

    FNE : 10% des plus riches dans le monde émettent 50% des gaz à effet de serre et 50% les plus pauvres émettent 10%. Peut-on concevoir une baisse de la consommation d’énergie avec un tel niveau d’inégalité ?

    Sylvaine : Il faut une subvention pour orienter la société vers un monde post carbone, financer des infrastructures, les transports en commun, subventionner les voitures électriques, une transition de l’emploi d’un point de vue global.

    Yves : La croissance économique a toujours été un facteur d’augmentation des inégalités. Le nucléaire est intrinsèquement lié à cette idée du toujours plus. En période de crise climatique, la sobriété est la réponse à l’abondance et à l’injustice sociale. La sobriété se traduit par un bon dimensionnement des services, la contrainte collective de notre consommation et une meilleure distribution de l’accès à ces ressources.

    FNE : Peut-on considérer l’énergie nucléaire comme une énergie d’avenir ou simplement une énergie de transition ?

    Sylvaine : L’énergie nucléaire est bas carbone, très concentrée, peu gourmande en matériaux et en emprise au sol. Il y a un problème de financement de l’énergie, 70% des 42 Md investis par la banque française sont utilisés pour les énergies fossiles mais ils devraient être utilisés pour l’énergie nucléaire. Le nucléaire n’est pas un alibi pour consommer plus. Elle peut être une énergie de transition.

    FNE : Comment avoir la certitude qu’un mix électrique 100% EnR est techniquement et économiquement viable ?

    Yves : Au niveau mondial, beaucoup de projections relèvent du 100% renouvelable. Des technologies sont étudiées, mais pas encore déployées industriellement. Ce scénario est possible en France, mais le système électrique évolue très peu, le défi est grand. Pour réussir, il faut de la sobriété et de l’efficacité. Il n’y a pas de certitude mais plus de confiance dans cette option que dans une autre.

    FNE : Il y a eu plusieurs fusions de réacteurs dans le monde, avec des conséquences diverses, mais il n’existe pas de solution universellement reconnue pour la gestion de déchets. Toute la gestion des déchets, les conséquences potentielles d’un accident nucléaire, les risques de prolifération d’éléments radioactifs… tous ces coûts seront légués aux générations futures. Pensez-vous que ce leg soit éthiquement acceptable ?

    Sylvaine : Le vrai déchet est le CO2, le leg éthiquement acceptable est de laisser aux générations futures des moyens de lutter contre le dioxyde de carbone.

    Yves : On peut fournir des efforts pour réduire la probabilité d’accident nucléaire, mais ce n’est pas maitrisable éthiquement, les réacteurs et les déchets nucléaires représentent des dangers. La solution aux déchets serait le stockage géologique.

    Le message qu’on aimerait faire passer aux parlementaires qui vont prendre la décision

    Nos deux intervenants ont insisté sur la nécessaire sobriété énergétique. Cette sobriété doit être plus ambitieuse que ne le prévoit le scénario RTE dit « de sobriété ». La loi de transition énergétique pour la croissance verte votée en 2015 prévoit une division par 2 de notre consommation d’énergie finale en 2050 par rapport à la référence 2012. Il a fallu la guerre en Ukraine et les contraintes d’approvisionnements énergétiques en Europe pour que nos consommations de gaz et d’électricité baissent de 10%. Cette baisse substantielle va sans doute permettre à RTE d’assurer les pointes hivernales d’électricité, sans procéder aux délestages qui auraient de graves conséquences pour nos concitoyens et nos entreprises. Pour sortir à terme des énergies fossiles, il faut aller plus loin dans cette sobriété. Faut-il construire de nouveaux réacteurs nucléaires ? Quelle que soit la réponse à la question posée, une transition énergétique sans une composante forte de sobriété est vouée à l’échec. Nos deux intervenants sont d’accord sur le risque que l’objectif de la loi de 2015 ne soit pas atteint en 2050, et que l’une des composantes majeures de l’acceptabilité de cette sobriété soit qu’elle semble répartie dans la population avec un fort sentiment de justice sociale. Dans ce débat, l’origine de la crise des « gilets jaunes » a été rappelée, comme un sentiment que les efforts étaient injustement répartis.

    Pour en savoir plus : 

    Note d’éclairage de la CNDP sur le nucléaire : CNDP-Eclairage-Nucleaire-16022022_0.pdf

    Pour finir, quelques chiffres clés dans le monde : 

    • 70% de nos gaz à effet de serre sont liés à l’énergie.
    • Les énergies fossiles à haut taux de carbone représentent 80% de notre mix énergétique.
    • La consommation d’énergie a été multipliée par 10 en un siècle.

     

    Pour aller plus loin

    Le titre de l'article est au centre, on voit une personne qui observe le ciel au milieu d'une ville endormie. Sentinelles de la nuit, ciel étoilé, hérisson, observation des étoiles, gardiens et gardiennes du ciel étoile
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