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La méthanisation, une filière vertueuse ?

Publié le 26 avril 2019

La méthanisation a été mise en lumière en 2012 lors du débat national sur la transition énergétique, et la loi LTECV* de 2015 lui fixe des objectifs ambitieux de développement. Cette énergie renouvelable vient en relais des énergies fossiles, à l’instar du solaire, de l’éolien et de la géothermie. Elle répond aux enjeux de la loi Grenelle II qui, depuis janvier 2012, impose aux gros producteurs de biodéchets la mise en place d’un tri à la source, d’une collecte sélective et d’un traitement biologique favorisant la réduction d’émission de gaz à effet de serre et le « retour au sol ». Ainsi ils réduisent les volumes de déchets à incinérer ou à enfouir et augmentent la production d’énergies renouvelables. L’une des applications les plus évidentes concerne le secteur des transports, pour limiter la dépendance aux énergies fossiles, limiter la pollution et le réchauffement climatique. En 2018, le biogaz représentait moins de 1 % de la consommation de gaz en France, encore loin de l’objectif de 10 % fixé, pour 2030, par la loi LTECV de 2015.

Cet objectif est aujourd’hui revu à la baisse et, selon le document de synthèse de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) présenté le 25 janvier 2019, cette part est ramenée à 7 %. Les subventions et le soutien public alloués aux filières seront également revus à la baisse.

* LTECV – Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ; version consolidée au 8 janvier 2019.

LA MÉTHANISATION, C ‹EST QUOI ?

C’est l’utilisation d’un processus biologique naturel qui transforme la matière organique par une fermentation bactérienne et anaérobie (sans présence d’oxygène) ; elle est chauffée et brassée un à deux mois dans le digesteur et produit le digestat, fertilisant des sols et des cultures, et le biogaz, mélange de méthane, de CO2, d’hydrogène, d’eau et de quelques traces de gaz malodorant.
Les origines les plus courantes de cette ressource sont :
- les cultures dédiées : les CIVE (cultures intermédiaires pour la valorisation énergétique),
- les produits agro-industriels sans emballages issus de la première transformation,
- les produits agricoles (fumier, lisier, résidus de céréales),
- les biodéchets des ménages, des collectivités et des entreprises agroalimentaires,
- les boues de stations d’épuration.

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Les atouts majeurs de la méthanisation

  • Produire localement du biométhane avec des emplois non délocalisables,
  • Valoriser les biodéchets et matières organiques,
  • Diminuer les gaz à effet de serre provenant des déchets et des effluents d’élevage,
  • Être une alternative aux engrais chimiques.

Les questions qui se posent

Les installations de méthanisation peuvent être sources de nuisances : odeurs, bruits et pollutions provoquées par le trafic, dépréciation du patrimoine à proximité.Le mouvement FNE est conscient de la réalité des inquiétudes exprimées par des citoyens et estime que tout projet doit être mené avec le souci d’exemplarité environnementale et de réelle concertation.

EN SORTIE DU MÉTHANISEUR : LE DIGESTAT ET LE BIOGAZ

De nombreux points sont à étudier selon le contexte de mise en œuvre car, si la production de bioGNV est un bienfait, la vigilance est de mise sur la qualité des digestats et les plans d’épandage.

  • LE DIGESTAT
    De la composition des intrants va dépendre la qualité du digestat utilisé comme engrais et amendement sur les exploitations agricoles.Certaines installations sont purement agricoles tandis que d’autres reçoivent des intrants variés (boues, déchets, biodéchets agroalimentaires pouvant comporter des emballages) et relèvent alors de l’activité industrielle. Ce sont des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) relevant des procédures administratives classiques avec des enquêtes publiques.
    Les digestats issus des méthaniseurs ayant reçu des produits et sous-produits agricoles peuvent être utilisés comme fertilisants agricoles. Bien qu’ils aient perdu une partie de la matière organique disparue par digestion, ils se sont un peu enrichis en azote organique via leur contenu en microbes qui se sont multipliés dans le fermenteur.
    Les digestats issus des méthaniseurs industriels, qui ont reçu des boues de stations d’épuration ou de déchets issus de tri mécanobiologique (TMB), généralement pollués, sont ainsi à proscrire. Un contrôle-qualité du digestat doit être assuré avant tout épandage, car il serait regrettable de disperser la pollution par des procédés réputés novateurs et vertueux.
    FNE plaide pour une alternance d’épandages entre ces digestats et de la matière non méthanisée pour des sols à la vie microbienne plus riche.
  • LE BIOGAZ
    Son épuration est réalisée dans le méthaniseur pour obtenir du biométhane, du CH4 à plus de 95 %.
    - en l’absence de réseau, le biométhane est utilisé sur place dans des activités industrielles de production de chaleur ou bien transformé en électricité par cogénération,
    - s’il existe un réseau de gaz à proximité, le biométhane y est injecté et sert les besoins domestiques ; il peut alimenter des stations de GNV (gaz naturel pour véhicules) sous forme de GNC (comprimé pour véhicules légers, camions, bus, cars) ou de GNL (liquéfié pour les navires).Le biométhane est un gaz 100 % renouvelable dans le cadre de l’économie circulaire, il repose sur un modèle agricole vertueux et répond aux problèmes géopolitiques.Sa combustion est plus complète que celle des produits pétroliers : il libère moins de CO2 que le gazole (–10 %) ou l’essence (– 25 %).Pour développer cette filière, la priorité est d’accélérer la mutation des flottes captives (bus, véhicules GNV) et de multiplier les stations distribuant ce biométhane. En 2018, dix-sept stations GNV étaient en service et une quinzaine en cours de déploiement.

LES MÉTHANISEURS AGRICOLES

La méthanisation des déchets et résidus d’origine agricole est reconnue comme une activité agricole (article 59 de la loi du 27 juillet 2010 modifié 2017 portant modernisation de l’agriculture et de la pêche). Le décret n° 2011-190 du 16 février 2011 en précise les modalités d’application concernant le statut agricole :

-      l’installation doit être exploitée et l’énergie commercialisée par un exploitant agricole (ou un groupement d’exploitants majoritaires dans une structure sociétaire de statut non commercial),

-      l’installation doit utiliser des matières premières issues au moins à 50 % de l’agriculture.

En valorisant les résidus agricoles, les boues ou les biodéchets, la méthanisation diminue la pollution agricole et biologique.
Mais il serait préjudiciable que la méthanisation détourne les cultures de leur vocation première – la production alimentaire – au profit de la production énergétique ou d’en faire une caution verte pour l’agriculture industrielle.

Cultiver ou méthaniser son champ ?

Aussi est-il difficilement acceptable de dédier des champs à des cultures de CIVE destinées exclusivement à la production de gaz, comme l’ont fait certains pays, notamment l’Allemagne qui a misé sur les lisiers de porcs et l’ensilage de maïs pour développer la méthanisation agricole.
En France, les choix sont différents : comparées au faible pouvoir méthanogène des effluents d’élevage, les CIVE – dotées des mêmes caractéristiques que les CIPAN* – produisent une quantité importante de biomasse et sécurisent l’approvisionnement des méthaniseurs.
Elles remplissent leur rôle de couvert au même titre que les CIPAN tout en retournant au sol plus de carbone.

* CIPAN : cultures intermédiaires piègent à nitrate.

LES MÉTHANISEURS INDUSTRIELS

Dès lors qu’une installation ne relève pas des critères du statut agricole, elle est considérée comme industrielle. Le permis de construire est alors délivré selon les règles d’urbanisme en vigueur localement et soumises au régime ICPE.
Les risques associés à l’installation – agricole ou industrielle – doivent être maîtrisés et réduits au maximum, des contrôles fréquents doivent être effectués et l’accent mis sur la formation des exploitants et des prestataires. Enfin, le projet doit se faire en concertation et en toute transparence avec les populations locales et les associations de protection de l’environnement.
Si le principe de la méthanisation est a priori vertueux, son alimentation peut poser des questions : le transport (provenance des déchets organiques plus ou moins lointaine), le déconditionnement des déchets organiques emballés, les pollutions engendrées : air, eau, sols et risques associés.

LA MÉTHANISATION EN SEINE-ET-MARNE

186 carte 77 300C’est à Chaumes-en-Brie (77) qu’a été créé, en 2013, le premier site de méthanisation agricole français à produire du biométhane pour l’injecter dans le réseau. Sur les onze méthaniseurs « à la ferme » en activité en Ile-de-France, neuf, dont la production est injectée dans le réseau de gaz naturel, sont situés en Seine-et-Marne à Chaumes-en Brie, Ussy-sur-Marne, Chauconin-Neufmontiers, Pommeuse, Saints, Brie-Comte-Robert, Sourdun (2 unités), Noyen-sur-Seine.*

D’autres méthaniseurs agricoles sont en projet dans le département comme à Férolles-Attilly et Chailly-en-Brie. Le Conseil départemental mène d’ailleurs, en lien étroit avec la Chambre d’agriculture, une étude pour favoriser un développement cohérent de la méthanisation sur le territoire, qui devrait aboutir à un schéma de développement de la méthanisation en Seine-et-Marne.

Des sites de méthanisation n’ayant pas le statut agricole sont aussi en projet et arrivés à différents stades, comme :
- Brie-Compost, Cerneux : arrêté préfectoral du 16 février 2018 autorisant l’exploitation d’une installation de méthanisation associée à une unité de compostage,
- CVO 77, Bailly-Romainvilliers, comprenant une ligne de déconditionnement : avis favorable de la commission d’enquête, assorti de recommandations et réserves, ces dernières concernant à la fois les intrants autorisés et les conditions d’épandage,
- Equimeth, Moret-Loing-et-Orvanne : avis favorable de la commission d’enquête sous réserve qu’il n’y ait pas de boues issues de station d’épuration dans les intrants. 

* Les autres unités de méthanisation d’Ile-de-France font soit partie intégrante d’une station d’épuration urbaine, soit reçoivent en intrants des biodéchets ou effluents d’activités économiques.

LE MÉTHASCOPE POUR AIDER A SE POSITIONNER SUR UN PROJET

FNE s’est positionnée publiquement en faveur de la filière méthanisation sous certaines conditions et souhaite accompagner les associations du mouvement.
Pour cela FNE et GRDF ont signé, en 2015, une convention de partenariat, s’engageant à collaborer au travers d’échanges et d’actions dans le domaine de la méthanisation.
Et, en 2016, France Nature Environnement, l’ADEME et GRDF ont conçu « Méthascope » pour accompagner le développement d’une méthanisation durable. C’est un outil de référence destiné aux associations de protection de l’environnement et aux porteurs de projets.

Son objectif est d’aider :

  • les associations membres à se positionner face à un projet de méthaniseur,
  • les porteurs de projets à identifier les points délicats,
  • tout citoyen intéressé à s’informer, à comprendre les enjeux croisés (énergie, agriculture, gestion des déchets) et à connaître la réglementation.

Il favorise l’émergence d’une culture commune, l’appréciation des enjeux de la méthanisation sur un territoire, il facilite le dialogue entre les différentes parties prenantes d’un projet tout en donnant des clés d’identification des bonnes et mauvaises pratiques.
Composé d’un livret et d’une grille d’analyses multicritères, il comprend des informations réglementaires, techniques et de concertation des projets.

Pour approfondir : www.fne.asso.fr/publications/methascope

INTERVIEW  de François-Xavier Létang, agriculteur et dirigeant de Létang biogaz
186 p 14 Photo LétangAvec votre frère, vous êtes à la tête d’une exploitation agricole à Sourdun, en Seine-et-Marne. Comment est né votre projet de méthaniseur ?
Nous avons fait le constat que nos exploitations agricoles en grandes cultures étaient déséquilibrées et appelaient une diversification car le modèle actuel semble avoir atteint ses limites, notamment du fait du réchauffement climatique.
C’est une démarche de cohérence agronomique qui nous a d’abord conduits à une réflexion sur le développement de l’élevage afin de réutiliser ses effluents et rationaliser les flux de matières. Mais c’est, finalement, un projet de méthanisation que nous avons entrepris après une visite au salon Biogaz en 2008.
Nous sommes porteurs aujourd’hui de quatre installations – deux à Sourdun depuis 2014 et 2017, une autre dans l’Aisne mise en service en 2016 et une quatrième en projet en Picardie.

Avez-vous atteint vos objectifs ?
Oui, les résultats sont là : nos deux installations de Sourdun produisent 30 000 MWh annuels et la moitié de nos besoins d’engrais sont couverts par les digestats sortant de nos méthaniseurs.
Les intrants représentent 30 tonnes par jour et sont constitués à 60-70 % de CIVE, 20 % de betteraves et de déchets purement agricoles.
Nous sommes vigilants sur la qualité des digestats ; ils sont analysés à chaque épandage et ils le seront prochainement en continu.
Outre la consolidation des revenus de l’exploitation, nous trouvons un avantage en termes de biodiversité, avec un sol couvert en permanence plus fertile et plus résistant à l’érosion et au lessivage ; soucieux d’une démarche sociale, nous avons créé à Sourdun des activités et des emplois – trois directement liés à l’installation et quatre induits en agriculture – et ainsi renforcé les liens avec notre environnement local.

Quel est votre retour d’expérience aujourd’hui ?
Ces installations nécessitent beaucoup d’attention ; nous avons sous-estimé au départ le temps passé en exploitation et la nécessité de se former en permanence.
L’expérience de notre première installation de Sourdun nous a aussi rendus plus exigeants sur le choix des équipements installés et nous avons maintenant des installations très performantes et dont le rendement est sûr et stable.
Concernant les autorisations administratives, nous opérons aujourd’hui sous le régime déclaratif des ICPE et nous nous orientons vers le régime d’enregistrement.

Avez-vous rencontré des difficultés d’acceptabilité de la part des riverains ou des élus ?
Nous n’avons jamais rencontré un problème de ce genre sur nos projets de méthaniseurs. Je pense que la condition est de maîtriser le sujet et de traiter avec attention la question des odeurs, du trafic induit, des risques de l’installation et de l’intégration paysagère.
Nous avons été bien accueillis et nous sommes considérés comme un acteur économique local, loin de l’image de « l’agriculteur qui salit les routes et incommode les riverains ».

Comment voyez-vous le futur de la filière biométhane ?
Je crois à un modèle de développement local d’unités de taille moyenne comme à Sourdun, opérant dans un rayon d’environ 30 km pour optimiser le transport des intrants et des digestats.
Cette dimension correspond à l’échelle de nos exploitations agricoles, éventuellement regroupées localement. Pour la filière agricole, ces installations me paraissent plus adaptées au modèle français que les mégaméthaniseurs (200 tonnes/jour) qu’on trouve en Allemagne.
Cette démarche de massification me paraît prématurée. En revanche, je vois un potentiel dans la valorisation des déchets ménagers si la réglementation le permet un jour car il est dommage d’enfouir ou d’incinérer des déchets qui peuvent produire de l’énergie.
Je regrette le recul actuel sur les objectifs de la programmation pluriannuelle de l’énergie – réduction des ambitions et baisse du prix de rachat de l’énergie – qui risquent de mettre un coup de frein au développement de la filière.

Christine GILLOIRE et Jane BUISSON
FNE Seine-et-Marne

 

 

 

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