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La Bassée : inonder des champs pour mieux assécher la plus grande zone humide de la région ?
Sous couvert d’aménagement du territoire et de gestion du risque inondation, l’État et les grands aménageurs s’acharnent à bétonner, artificialiser et transformer en infrastructures productivistes ce qui reste d’écosystèmes vivants en Île-de-France. Dans la plaine alluviale de la Bassée, un territoire où la Seine et l’Yonne s’entrelacent, ils veulent creuser, barrer, endiguer et canaliser.
Située au nord-est de Montereau-Fault-Yonne en Seine-et-Marne, la Bassée s’étend sur 24 000 hectares. Cette vaste plaine alluviale s’étire sur 140 km de long et atteint jusqu’à 4 km de large constituant un paysage façonné par les dynamiques naturelles des cours d’eau.
Reconnue parmi les zones humides d’importance nationale, la Bassée joue un rôle essentiel dans l’équilibre écologique régional. En 2002, une réserve naturelle nationale de 854 hectares a été créée afin de préserver ce patrimoine unique et d’assurer la protection de ses écosystèmes.
La richesse de la Bassée repose sur la diversité des habitats qu’elle abrite. On y trouve 700 espèces végétales dont la renoncule grande douve, l’œillet superbe et le peuplier noir. Sa faune est tout aussi remarquable, avec 650 espèces animales recensées. Parmi elles des oiseaux emblématiques tels que le balbuzard pêcheur, la cigogne noire et le martin-pêcheur d’Europe y trouvent refuge. La zone accueille également des espèces plus discrètes mais essentielles à l’équilibre du milieu, comme le triton crêté, la loutre d’Europe ou encore de nombreuses espèces d’insectes et de poissons inféodés aux milieux humides.
La Bassée représente la plus grande réserve d’eau potable d’Île-de-France. Son système hydraulique complexe composé de deux nappes souterraines et de noues assure depuis des millénaires une régulation naturelle des crues. En absorbant l’excès d’eau lors des périodes de fortes précipitations et en la restituant progressivement, elle limite les risques d’inondation tout en maintenant un équilibre hydrologique indispensable aux écosystèmes environnants.
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Une zone humide sacrifiée pour l’exportation céréalière
Plutôt que de restaurer les capacités naturelles des zones humides, les aménageurs veulent transformer la Bassée en un gigantesque dispositif artificiel. Officiellement justifiés par la prévention des inondations, ces travaux cachent en réalité un objectif bien différent : adapter la plaine aux besoins de l’exportation céréalière.
Neuf casiers hydrauliques, des bassins cloisonnés par des digues sur plusieurs kilomètres, sont prévus pour stocker temporairement l’eau d’une crue centennale.
Mais à quel prix ?
Un premier casier, présenté comme un projet « pilote », vient d’être construit. Ses dimensions sont effarantes : 350 hectares saccagés, 8 kilomètres de digues. Pourtant, son efficacité reste dérisoire : ce casier ne représente que 11 % du projet total et ne réduirait le niveau de la Seine que de 4 à 5 centimètres.
Les bulldozers ont éventré la terre, détruisant un écosystème fragile.
La faune et la flore ont été englouties sous le béton, sacrifiées sur l’autel d’une agriculture industrielle toujours plus gourmande en terres et en ressources.
Tout cela pour un projet à 600 millions d’euros, fondé sur des modèles hydrauliques dépassés et conçu avant tout pour servir les intérêts de l’agro-industrie. Une aberration qui refuse de voir l’évidence : il faut restaurer les zones humides, pas les assécher au profit d’un modèle agricole destructeur.
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Un canal grand gabarit pour l’industrie et contre le vivant
Derrière les discours sur la « modernisation du transport fluvial », c’est un projet vieux d’un demi-siècle qui refait surface : la mise à grand gabarit de la liaison fluviale entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur-Seine. Ce tronçon de 28,5 km, actuellement navigable pour des bateaux de 650 à 950 tonnes, serait creusé, élargi et artificialisé pour accueillir des monstres de 2 500 tonnes.
Quels sont les arguments avancés ? Réduire le transport routier. Mais les chiffres ne tiennent pas : en réalité, cette extension ne ferait disparaître que 100 camions par jour, un chiffre insignifiant comparé aux milliers de poids lourds qui sillonnent la région. Pire encore, le bilan carbone du projet est catastrophique : les bateaux sur ce tronçon sont bien plus polluants que le rail, et l’extension du canal accélérera l’assèchement des nappes phréatiques en perturbant l’hydrodynamisme naturel de la Seine.
Pourquoi alors s’acharner ? Parce que derrière ce projet il y a les lobbies de l’extraction de granulats et de l’agro-industrie céréalière. C’est pour eux et non pour l’intérêt général que ces infrastructures voient le jour à coups de centaines de millions d’euros d’argent public.
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Deux projets archaïques qui aggravent la crise écologique
Ces projets sont nés il y a trente ans, à une époque où l’on croyait encore pouvoir dompter les fleuves et bétonner les sols sans conséquence.
Aujourd’hui, ces certitudes ont volé en éclats face aux réalités du changement climatique :
- Les sécheresses s’intensifient, rendant le maintien d’un canal navigable encore plus incertain.
- Les crues sont plus brutales et rapides, rendant inefficace un modèle basé sur une lente montée des eaux.
- La destruction des zones humides réduit leur capacité naturelle de régulation, aggravant les phénomènes extrêmes au lieu de les atténuer.
Face à ces évidences, le Conseil scientifique régional du patrimoine naturel d’Île-de-France a exprimé dès 2019 son opposition à ces projets. L’Autorité environnementale a souligné les lacunes de leur justification. Et pourtant, la machine avance, sourde aux avertissements des experts comme des citoyens.
Une bataille juridique en cours
Face à cette menace des recours ont été engagés.
- Projet de casier hydraulique : En 2021 FNE Île-de-France, FNE Seine-et-Marne et l’association À l’eau Bassée ont déposé un recours contre la Déclaration d’Utilité Publique et l’Autorisation environnementale du projet « pilote ». Rejeté en première instance en avril 2023, ce recours a fait l’objet d’un appel en juillet 2023 auprès de la Cour administrative d’appel de Paris.
- Canal grand gabarit : Dès 2011 FNE Seine-et-Marne et d’autres associations ont exprimé leur opposition lors du débat public organisé par la CNDP. En 2021 elles ont réitéré leur position lors de l’enquête publique sur la Déclaration d’Utilité Publique ainsi qu’en 2024 lors de la nouvelle enquête publique.
Nous refusons le sacrifice de la Bassée et appelons à la mobilisation
Face à ce saccage environnemental et à la menace d’une généralisation du dispositif avec la construction de huit autres casiers nous exigeons :
- L’abandon du projet global de stockage des crues à travers la multiplication de casiers hydrauliques destructeurs
- L’abandon du projet de mise à grand gabarit de la Seine et la priorité au transport ferroviaire, alternative plus écologique et efficace
- La mise en place de solutions alternatives, élaborées à partir d’expertises indépendantes et d’un véritable processus de concertation
- Une étude approfondie sur l’extension des zones naturelles d’expansion des crues, à l’échelle de l’ensemble du bassin versant
- L’arrêt définitif de l’urbanisation dans les zones inondables afin de ne plus aggraver le risque d’inondation
- La désartificialisation des abords de la Seine et de ses affluents pour restaurer les capacités naturelles de régulation des crues
Les actions juridiques et la participation aux enquêtes publiques sont essentielles, mais elles ne suffiront pas sans une mobilisation massive. Habitants, riverains, associations, élus : engageons-nous pour défendre la Bassée et refuser ces infrastructures destructrices.
Je signe la pétition contre la mise à grand gabarit de la liaison fluviale entre Bray-sur-Seine et Nogent-sur-Seine
Je fais un don pour soutenir le recours contre la destruction de la plus grande zone humide d’Ile-de-France.
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Projet de casier pilote sur le site de la Bassée
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