Plaidoyer pour l'action juridique
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Plaidoyer pour l'action juridique

Publié le 4 mars 2021

FNE Ile-de-France a souhaité organiser ses rencontres régionales annuelles les 21 et 27 novembre 2020 sur le thème de l’appropriation de l’outil juridique par les associations de protection de la nature et de l’environnement (APNE). Cette réflexion intervient dans un contexte sensible marqué à la fois par une forte appétence citoyenne la protection de la nature et, paradoxalement, par un détricotage des leviers juridiques permettant l’implication du public dans les projets impactant l’environnement. Voici une synthèse de ces Rencontres.

Les associations, véritables «sentinelles de la nature»


Les associations font figure de dernier rempart pour la protection de l’environnement et leurs combats, souvent marginaux aux aurores, finissent par devenir les préoccupations centrales de générations de citoyens. Malgré cette infusion constante des idées écologistes dans la société et la structuration progressive du mouvement associatif depuis les années 70, les agressions environnementales se sont amplifiées. Au-delà des enjeux climatiques, qui sont mondiaux par essence, l’effondrement de la biodiversité, la pollution des cours d’eau, l’extension urbaine et l’ensemble des processus contribuant à la destruction des milieux naturels n’ont pu être suffisamment endigués.

« Moi qui ai vécu la cause environnementale depuis 1970, il y a donc un demi-siècle, j’ai vu se dégrader les choses alors que les efforts déployés par les associations ne parvenaient pas à stopper la dégradation. Celle-ci continue. Pour inverser les tendances,
il faut déployer de manière immédiate un immense effort d’imagination et de mobilisation. »

Marc Ambroise-Rendu

Le mouvement associatif peut toutefois se féliciter d’avoir mis hors d’état de nuire de nombreux projets ou pratiques délétères et contribué à l’émergence de procédures permettant aujourd’hui de contrôler les activités nuisibles pour l’environnement. Plus encore, il pallie souvent les lacunes de l’administration et des parquets dans la sanction des atteintes à l’environnement.

Les associations sont souvent en première ligne sur le front de la protection de l’environnement au travers de leurs actions caractéristiques : relevés naturalistes, expertises sur les projets, entretien d’espaces protégés, éducation à l’environnement, lanceurs d’alerte, participation aux commissions consultatives, initiation de l’action publique en cas d’infraction environnementale non poursuivie, information des citoyens et formation de ceux-ci à la connaissance et à la protection de la nature.
Ce rôle est bien involontairement renforcé par l’affaiblissement de la puissance publique, dont les moyens s’amenuisent à rebours des prétentions environnementales affichées par les élus.
La place du contentieux dans l’activité des associations s’appuie sur les trois piliers de la démocratie environnementale que sont le droit d’accéder à l’information, le droit de participer à l’élaboration des décisions publiques qui impactent l’environnement et le droit d’accéder à la justice. L’action juridique n’est donc pas l’action première des associations qui tendent dans un premier temps à s’informer pour alerter et à émettre des avis sur des projets pour les améliorer, ce n’est qu’en cas d’échec de ces deux moyens qu’elles se tournent vers le contentieux.

Grâce au travail de recherche et de synthèse de Marc Ambroise-Rendu, président d’honneur de FNE Ile-de-France, l’usage du contentieux par les associations franciliennes de protection de l’environnement est aujourd’hui mieux documenté.
Sa synthèse montre un usage banalisé de l’outil juridique en Ile-de-France et un équilibre dans les départements concernés malgré des enjeux environnementaux fort différents entre la petite et la grande couronne. Les associations ont une large préférence pour le contentieux administratif, particulièrement pour celui de l’urbanisme (54,8 % des recours) dans une région particulièrement soumise à l’extension urbaine. On notera que les associations sont nombreuses et s’associent volontiers dans des actions communes. Fait notoire par ailleurs : les victoires en justice sont plus nombreuses que les défaites !

Pour autant, en ce temps fort de mobilisation citoyenne pour le climat et contre les grands projets inutiles, les fondements de la démocratie environnementale n’ont jamais été aussi menacés.

 

Une tendance à la régression des outils de la démocratie environnementale 


Ces dernières années ont vu s’imposer des dispositions législatives et règlementaires dont l’ambition affichée est de « simplifier » les procédures environnementales. Elles contiennent systématiquement leur lot de régressions en matière de démocratie environnementale. La tendance est à l’augmentation de l’influence des préfets sur les procédures environnementales et à l’affaiblissement des capacités de contrôle et de recours des citoyens vis-à-vis des projets. Le nouveau droit de dérogation des préfets aux normes règlementaires (décret n° 2020-412 du 8 avril 2020), dont l’imprécision annonce un contentieux riche, en est une illustration.

L’implication de la société civile dans les décisions concernant l’environnement se heurte à l’affaiblissement constant du champ d’application des enquêtes publiques (voir article sur les enquêtes publiques dans Liaison # 191). Il est en effet  aujourd’hui très peu aisé de distinguer les projets soumis à enquête publique, de même qu’à étude d’impact, le lien d’automatisme entre ces deux notions ayant été lui-même érodé.
A cet égard on peut citer la loi « Macron » du 6 août 2015, les lois ELAN, ESSOC, et plus récemment ASAP, dont l’objectif affiché est « d’accélérer les implantations et les extensions industrielles » mais bien entendu « sans rien changer aux réglementations qui nous protègent ». Aucune des fondations de la démocratie environnementale n’a été épargnée au cours de la dernière décennie. Même les outils essentiels tels que l’accès aux documents administratifs se voient limités par la loi ASAP, lorsque cet accès est « de nature à favoriser » des actes de malveillance.

« Nous préférons être associés aux projets très en amont de leur réalisation
et apporter notre vision d’usagers, de citoyens mais cette forme de concertation est encore trop rare.
 »
Luc Blanchard

192 14 Gare du Nord 500

 Comité des habitants et collectif RNGN mobilisent les différents acteurs et engagent des procédures
contre un grand projet inutile de transformation de la gare du Nord en centre commercial.

Pour simplifier les projets, les délais d’instructions des autorisations sont limités, de même que les délais de recours des tiers contre ces autorisations. Si l’efficacité de ces contractions est contestée, elles tendent systématiquement à affaiblir le droit effectif à un recours.
En matière d’urbanisme par exemple, les contraintes du requérant sont telles (délais de recours raccourcis, référés encadrés, critères restrictifs pour l’intérêt à agir, augmentation des pouvoirs de régularisation du juge etc.) qu’être reconnu recevable à attaquer une autorisation d’urbanisme au cours d’une instance devient une victoire en elle-même. Dans ce même domaine la durée des procédures est raccourcie par la même occasion, le degré d’appel ayant été supprimé pour certaines autorisations (lotissements, projets d’ouvrages de prélèvement d’eau à usage d’irrigation et les infrastructures associés etc.), ce qui, tout en subtilisant un appel au fond, rend obligatoire le recours à un avocat. En Ile-de-France le degré d’appel a également été supprimé pour faciliter l’organisation des Jeux Olympiques 2024, cette possibilité ayant été appliquée, en cours de procédure, à des contentieux n’ayant pourtant aucun lien avec les JO : Tour Triangle, Ligne 17 Nord du Grand Paris Express.

L’urbanisme et les énergies renouvelables sont les deux secteurs d’expérimentation généralement simplifiés en premier lieu, avant que les dérogations ne soient progressivement élargies au reste des installations et ouvrages. Si le secteur privé y trouve nécessairement son compte, le droit de l’environnement qui émane de ces réformes s’avère de moins en moins lisible et protecteur. 

Recours abusifs


Une procédure « bâillon » qui ne doit pas intimider les APNE

Les recours destinés à sanctionner les recours abusifs en matière de construction participent de la méthode dite de la « procédure bâillon ». Elle vise à effrayer le destinataire davantage qu’à obtenir une véritable condamnation. Si les associations doivent adapter leurs interventions à leurs ambitions et moyens, elles ne doivent aucunement se limiter par peur d’une condamnation pour recours abusif.
Trois fondements permettent à un pollueur d’attaquer une association en raison de son recours : droit commun de la responsabilité civile délictuelle, délit d’escroquerie et l’article L. 600-7 du code de l’urbanisme. Ce dernier fondement a été modifié par la loi ELAN, dans un sens défavorable aux associations puisque ses critères ont été assouplis et que la présomption de légitimité dont bénéficiaient les APNE a été supprimée.
Pour autant, le juge fait un usage modéré de cet outil à l’égard des APNE, en particulier lorsque leur recours est recevable et qu’il mobilise des normes juridiques (un recours sans moyen juridique se limitant à des arguments d’ordre politique ou scientifiques est de toute façon à proscrire). Des associations agissant dans le cadre de leur objet statutaire ont donc peu de risque de se voir ainsi condamner et peuvent même inverser la procédure en faisant condamner son initiateur.

Quelle organisation associative pour une riposte efficace ? 


Afin de mieux peser sur les projets et dissuader les atteintes volontaires à l’environnement, les associations doivent s’organiser pour augmenter la pertinence et la permanence de leur action contentieuse.

  • Tout d’abord, il faut conserver une bonne mémoire et connaissance des actions juridiques menées par les associations. Pour cela, une base de données va être mise en place pour détenir des données actualisées, à défaut d’être exhaustives.
  • Profiter de l’atout de la solution fédérale que représente le réseau de France Nature Environnement est aussi bénéfique pour les associations. Sophie Bardet, juriste de France Nature Environnement est venue présenter lors des Rencontres l’organisation du réseau juridique de la fédération. Il comprend à la fois des membres salariés, 29 juristes associatifs répartis sur l’ensemble du territoire, et des membres bénévoles, une centaine d’universitaires, magistrats, avocats, juristes.

A l’échelle nationale et européenne, le réseau juridique établit un plaidoyer pour améliorer la législation, répond aux consultations relevant de son expertise ou au profit de fédérations dépourvues de juristes et assure des formations. Ceci favorise une meilleure circulation de l’information entre associations et une diffusion des bonnes pratiques contentieuses. Des stratégies contentieuses peuvent dès lors être mises en place lorsqu’une décision intéressante est obtenue par une association de la fédération.

« Il nous faut mettre partout en place des « task-force juridiques. »
Marc Ambroise-Rendu

  • Renforcer le nécessaire lien avec les avocats. Les Rencontres ont été ponctuées par les interventions de plusieurs avocats œuvrant à la protection de l’environnement : Etienne Ambroselli, Louis Cofflard, Marc Pitti-Ferrandi et de plusieurs universitaires. L’objectif était de mettre en lumière l’importance du facteur humain et organisationnel dans la réussite des contentieux environnementaux, le choix des avocats ayant immanquablement un rôle déterminant. Outre l’importance du choix d’un avocat compétent et réellement militant, il convient aussi de s’organiser de manière à enrichir l’action de celui-ci.

Etienne Ambroselli, avocat représentant les associations dans le cadre de la lutte pour la sauvegarde du Triangle de Gonesse a rappelé l’intérêt d’améliorer l’organisation de l’outil juridique par l’échange. D’abord en internet des associations puis avec les avocats concernés.
La constitution de groupes de travail pluridisciplinaires sur certains dossiers spécifiques est tout à fait bénéfique Elle est d’autant plus utile dans les cas où des projets ont fait l’objet d’un saucissonnage, multipliant les procédures et les évaluations environnementales pour masquer l’impact véritable d’un même projet d’ensemble. Ensuite, l’échange de compétences techniques, d’informations et de financement entre les associations est déterminant et à privilégier vis-à-vis d’actions interposées.
Stéphane Tonnelat, chercheur au CNRS et membre du Collectif Pour le Triangle de Gonesse (CPTG) est venu rappeler à ce propos que Maitre Ambroselli a fait appel à des avocats alliés, et que le CPTG a mobilisé dans le groupe juridique, à côté des spécialistes, des militants experts dans leurs domaines respectifs (urbanisme, études démographiques, architecture, eau et terres excavées etc.).

« Face au constat d’échec, il faut y aller fort, plus fort que jamais
dans l’histoire des associations pour l’environnement.
»

Etienne Ambroselli

13 192 Dossier Encadré Gonesse500

Manifestation sur le Triangle de Gonesse.
Le CPTG associe une mobilisation citoyenne foisonnante à des recours juridiques tous-azimuts contre l’artificialisation des terres agricoles.

Quelques bonnes pratiques pour augmenter la force de frappe juridique

 

  • Coupler la mobilisation avec l’action contentieuse

Il est important de constituer, au sein de chaque association souhaitant s’engager dans le contentieux, une doctrine d’action guidant les recours juridiques, qui gagnera nécessairement à être explicite et rationnelle aux yeux des adhérents comme à ceux des magistrats.
L’organisation de campagnes de mobilisation citoyenne, les actions de communication, souvent en interassociations est précieuse pour la réussite des actions contentieuses.
FNE Ile-de-France a récemment concentré ses moyens sur la protection des milieux aquatiques, en particulier de la Seine, au travers d’actions pénales (contre le déversement de ciment par Vinci à Nanterre, par Lafarge à Paris-Bercy ou Javel) avec des mobilisations militantes. Mais aussi avec la participation à des enquêtes publiques, avec un travail de réflexion sur le projet de réservoir de la Bassée en Seine-et-Marne ainsi que l’organisation d’un colloque régional sur l’eau en 2022 et la publication d’un numéro spécial de la revue Liaison.

« Les actions juridiques ne se suffisent pas toujours à elles-mêmes
et fonctionnent mieux lorsqu’elles sont associées à une mobilisation citoyenne
. »
Louis Cofflard

  • Créer un budget en amont pour le financement des actions contentieuses

En étudiant les modes de financement des recours juridiques des APNE, on constate que les appels à dons en ligne concernant un projet spécifique fonctionnent mieux que les appels à dons pour aider une association. Ceci est d’autant plus vrai que les partenaires publics tendent à limiter de plus en plus les subventions dites « de fonctionnement » au profit de rémunérations au projet. Une tendance similaire se constate dans le mécénat et les partenariats privés. Il n’est pas inutile de relever également que les collectifs ad hoc ou les associations nouvellement crées contre un projet spécifique parviennent souvent à récolter des sommes plus importantes que les associations historiques pour financer leur actions juridiques, sans doute par une meilleure maîtrise de la communication.

  • S’associer avec des réseaux universitaires

Mobiliser un avocat n’est pas le seul moyen pour une association d’engager une action. D’autres formes peuvent être envisagées comme le recours aux stagiaires juridiques, services civiques et bénévoles. FNE Ile-de-France et le CPTG ont également bénéficié en 2020 de l’aide bénévole d’une « clinique juridique » dans le cadre des formations de l’Université de Nanterre, dont les étudiants ont travaillé à enrichir un recours dans le cadre de la lutte contre la construction  d’une gare sur le Triangle de Gonesse.

  • Diversifier les types de contentieux

Les Rencontres ont été l’occasion de dresser un aperçu des actions possibles pour les associations : pénales, civiles, administratives, sur des projets de différente ampleur (mini atteinte mais très répandue, grand projet inutile, modification des documents d’urbanisme, des actes règlementaires du préfet, des plans et programmes).
Si le contentieux de l’urbanisme est privilégié par les associations franciliennes il convient de ne pas s’y limiter étant donné le contexte législatif exposé plus haut et l’impact décisif qu’ont les associations dans le contentieux pénal. L’arsenal répressif français est conséquent en matière d’environnement, le problème demeure qu’il est trop peu mis en application. Les associations pallient ces lacunes au travers de leurs plaintes, constitutions de parties civiles et autres citations directes.

  • Contribuer à l’expertise, à la médiatisation ou simplement initier l’action publique sur les dossiers de pollution environnementale est l’un des objectifs des associations sur lequel elles ont le plus d’impact.

Pour obtenir davantage de résultats dans ce domaine, Sophie Bardet-Auvillle a rappelé au cours des Rencontres la nécessité de rencontrer et travailler avec les parquets et les polices de l’environnement, qui ne connaissent pas toujours suffisamment bien les associations de leur secteur et leur rôle d’alerte.

192 15 Pipeline 380

Une convergence associative tente d’obtenir la réparation des dommages écologiques
causés par la rupture du pipeline d’hydrocarbures dans les Yvelines en 2019.

Maxime COLIN
Juriste à FNE Ile-de-France
fne-idf.fr.

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