l'avenir de l'énergie nucléaire en france
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Quel avenir pour l'énergie nucléaire en France ?

Publié le 5 avril 2023

À la suite du débat-rencontre sur l’énergie nucléaire, organisé autour de la question «faut-il construire de nouveaux réacteurs nucléaires», nous publions des avis de nos adhérents sur le sujet. Aujourd’hui, nous nous sommes penché sur l’avis d’Yves Terrien sur l’énergie nucléaire et son avenir en France, une sorte d’introduction de notre prochain Liaison consacré à l’énergie.

centrale nucléaire

Le futur du nucléaire en France :

Depuis des années, la puissance installée en moyens pilotables a baissé en Europe, et particulièrement en France, pour la production d’électricité. « Moyens pilotables » signifie ici les modes de production constamment disponibles, indépendamment des conditions météorologiques de vent et de soleil. Ces moyens ont baissé pour des raisons diverses, vertueuses pour l’environnement (fermetures de centrales à combustibles fossiles pour éliminer les émissions de gaz à effet de serre correspondantes) ou politiques (arrêt programmé du nucléaire en Allemagne, fermeture des deux réacteurs de Fessenheim en France).

En France, la disponibilité de la puissance pilotable pour la production d’électricité a chuté, ces dernières années, d’environ 10%. C’est une baisse considérable, qui a conduit notre pays d’une situation d’autonomie énergétique assurée pour la production d’électricité (nous étions en permanence exportateur) à une situation où nous n’avons plus de marge suffisamment élevée pour assurer une production suffisante pendant les périodes de grande consommation, ce qui peut conduire par grands froids à des coupures importantes d’électricité, voire même à des blacks-out, comme il a été évoqué ces derniers temps, y compris par les autorités politiques de notre pays. En effet, contrairement à ce que l’on dit souvent (« les réseaux sont reliés, il y a toujours du vent et/ou du soleil quelque part, donc pas de problème ») les données météo montrent que des périodes assez longues de grands froids sans soleil ni vent en Europe ne sont pas rares (voir, par exemple, https://www.sauvonsleclimat.org/fr/base-documentaire/nature-et-limite-du-foisonnement-eolien).

La puissance pilotable dont nous disposons est fournie (chiffres RTE-2021) par les centrales nucléaires (69% de l’électricité produite), l’hydraulique (12%), les centrales à combustibles fossiles encore en fonctionnement (7%) et des moyens de production à plus petite échelle comme la biomasse (2%). Parmi ces moyens de production il faut développer les non-fossiles pour retrouver un niveau de moyens pilotables suffisant pour assurer de nouveau notre autonomie énergétique. Les ressources étant limitées pour les moyens de production à petite échelle et la possibilité de construire des nouveaux grands barrages étant réduite, il est important de retrouver une puissance suffisante de production d’énergie nucléaire, comme l’ont montré les divers scénarios publiés l’année dernière par RTE (Réseaux de Transport d’Electricité) et comme semble le penser le gouvernement actuel avec la loi de facilitation de la construction de centrales nucléaires en cours de discussion au Parlement, et avec le projet de construction de 6 EPR2. Sinon, on devra faire comme nos voisins en assurant la production électrique par création ou réouverture des moyens de production à combustibles fossiles émettant plein de CO2 alors que le nucléaire n’en émet pas…

Prolongation de la durée de vie des centrales existantes et démantèlement en fin de vie :

Dans les centrales nucléaires françaises à eau pressurisée, pratiquement tout peut être remplacé et l’est, en cas de besoin, lors des opérations de maintenance. Mais, bien sûr, la cuve et l’enceinte de confinement ne peuvent l’être et la prolongation du temps de vie des centrales existantes au-delà des 40 ans prévus est très liée à la pérennité dans la durée de ces éléments essentiels.

Aux Etats-Unis, bon nombre de centrales ont reçu l’aval des autorités de sûreté pour une durée de vie de 60 ans, voire même pour certaines de 80 ans. En février 2021, l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire en France) a émis un avis favorable à la poursuite au-delà de 40 ans de l’exploitation des plus anciennes centrales françaises (celles de 900 MW), très similaires à celles des américains. L’examen de cette question, en cours, est fait en lien avec EDF, exploitant des centrales, pour les 32 centrales de 900 MW. Sur prescription de l’ASN, EDF doit mettre en œuvre et contrôler (lors de la visites décennale) des améliorations de sûreté, puis, après enquête publique, l’ASN donne sa position, en demandant éventuellement des travaux supplémentaires. Ce processus doit être réalisé pour chaque centrale et devrait se terminer en 2031 pour l’ensemble du parc REP-900MW. En fin de vie, les réacteurs seront démantelés. Cette opération, souvent contestée (« on ne sait pas faire ») a été réalisé aux Etats-Unis pour le PWR de Maine Yankee (de même facture que les réacteurs 900 MW du parc français), démantelé en 8 ans pour un coût de 500 M$. Toute estimation de coût d’un démantèlement est à mettre en regard du nombre de kWh produits pendant la vie du réacteur (par exemple, les deux réacteurs de Fessenheim ont produit 440 milliards de kWh en 42 ans).

Les réacteurs EPR (European Pressurized Reactors) :

Les réacteurs de type EPR sont, comme les REP actuels, des réacteurs à eau pressurisée, et ils comportent des améliorations significatives de la sûreté de fonctionnement et des conséquences en cas d’accident. Mais ils sont plus complexes, ce qui explique en partie les retards de la mise en service de celui de Flamanville (la tête de série, en France) et d’Olkiluoto (Finlande), pas encore en service. Par contre, les deux réacteurs EPR de Taishan, en Chine, commencés plus tardivement, fonctionnent normalement et sont couplés au réseau. Une version améliorée, l’EPR2, plus simple et moins chère à réaliser, a été mise au point et le gouvernement français souhaite en construire six dans les années à venir.
 

Les réacteurs rapides :

Ils différent des réacteurs actuels par l’énergie moyenne plus élevée des neutrons dans les réacteurs. Dans de telles conditions, d’autres noyaux que les noyaux directement fissiles conduisent aussi à la fission. Par exemple, un combustible contenant de l’uranium naturel est utilisable et l’U238 est tout autant consommé que l’U235. La réserve de combustible devient alors quasiment illimitée tandis qu’avec les réacteurs actuels, elle est séculaire. Par ailleurs, les déchets de haute activité à vie longue (HAVL) des réacteurs actuels peuvent être recyclés dans les réacteurs rapides, ce qui réduirait très fortement ou totalement le stockage de ces déchets, actuellement controversé.

Un premier prototype à puissance industrielle, Superphénix, a été arrêté par le gouvernement Jospin en 1997 tandis qu’une version d’études à puissance plus réduite, Phénix, a fonctionné à Marcoule jusqu’en 2010 et a permis, notamment, d’étudier la transmutation des déchets HAVL. La reprise de l’étude des réacteurs rapides avec le projet Astrid de prototype de puissance intermédiaire (600 MWe réduite ensuite à 100-200 MWe pour raison budgétaire) a été arrêtée en 2019 pour des raisons peu explicitées. Un groupe international d’études des réacteurs à neutrons rapides, « Generation 4 », incluant une quinzaine de participants (dont l’UE) travaille sur les diverses versions possibles de tels réacteurs (quels combustibles, modérateurs, refroidisseurs ?).

Les SMR :

Beaucoup de pays, spécialement les Etats-Unis et la Russie, étudient en ce moment des Small Modular Reactors (SMR), petits réacteurs de puissances modestes (100-300 MW) destinés à être installés auprès d’agglomérations isolées et de les alimenter directement, restreignant ainsi le besoin de réseau électrique. Ils sont aussi déjà installés sur des sous-marins par exemple. Ils ont des avantages certains (simplicité, confinement plus facile,…) mais leur généralisation auprès de nombreux sites pourrait poser un problème de dissémination.

Les applications à la production de chaleur :

A cause du mauvais rendement de la transformation de la chaleur en électricité dans les turbines, près des deux tiers de la chaleur est perdue dans les centrales nucléaires comme dans les centrales thermiques à combustibles fossiles. Il apparaît qu’on sait maintenant transporter de la chaleur sur de longues distances sans pertes notables et la chaleur des centrales pourrait être utilisée, dans des réseaux de chauffage urbain par exemple.

La fusion et le projet Iter :

Contrairement aux noyaux lourds, c’est la fusion de noyaux légers qui fournit de l’énergie. Le cas typique est la fusion de deutérium et de tritium (deux isotopes de l’hydrogène), qui conduit à l’Hélium-4 plus un neutron de 14 MeV (millions d’électron-volt). Il y a plusieurs façons de réaliser la fusion de ces deux isotopes, mais la plupart des spécialistes pensent qu’une future machine industrielle de production d’électricité à partir de la fusion doit être basée sur un plasma d+t confiné dans un champ magnétique. Les avantages de la fusion avec un tel système sont très grands : la disponibilité du combustible est millénaire, la sûreté est simple à assurer car le plasma ne demande qu’à s’arrêter, et, avantage majeur, il n’y a pas de production de matière radioactive HAVL. Reste à démontrer la faisabilité à échelle industrielle. Après de nombreuses études à puissances réduites, c’est le but de la très large collaboration internationale Iter qui réalise à Cadarache une première installation d’études, destinée à montrer qu’on sait créer et conserver un plasma d+t produisant la fusion à puissance suffisante pour envisager un prototype industriel. Parallèlement, des études des matériaux de couverture sont faites pour déterminer ceux qui peuvent supporter les flux intenses de neutrons de 14 MeV générés par la fusion d+t. Ce problème technologique n’est pas trivial, mais, même si l’horizon d’une machine industrielle de production d’électricité basée sur la fusion n’est pas proche, les avantages majeurs de ce processus justifient de poursuivre la recherche dans ce domaine.

Yves TERRIEN

Ancien adjoint du directeur des Sciences de la Matière (DSM) du CEA

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