Quels sont les limites et l'avenir de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme en Ile-de-France ?
SÉGRÉGATION ET PRÉCARITÉ ÉNERGÉTIQUE : MISES EN PERSPECTIVES
Suite à un débat de l’association 4D et de l’Encyclopédie du développement durable avec Mireille Ferri, Vice-présidente de la Région Ile-de-France en charge de l’aménagement du territoire, Benoît Filippi, Membre de l’Observatoire des Loyers de la Région Parisienne (OLAP), Frédéric Léonhardt, Urbaniste, membre de l’équipe Castro lors de la consultation internationale du grand pari de l’agglomération parisienne, Emmanuel Poussard, Délégué général, Energie Durable en Ile de France (EDIF), Vincent Renard, Economiste, Directeur de recherche au CNRS, Institut du développement durable (IDDRI) et animé par Michel Rousselot, administrateur de 4D.
LES LIMITES DES POLITIQUES D’AMÉNAGEMENT
Ce sont les marchés financiers qui régulent le logement. Les prix de l’immobilier ont augmentés (malgré les égratignures de la « bulle ») de plus de 130% depuis 1998.
• l’Ile de France reste en effet un secteur porteur pour le marché international,
• l’acheteur anticipe la hausse et l’immobilier apparaît comme un placement pour la retraite,
• les formes urbaines résultent du marché.
Les politiques publiques ont été inaptes, depuis 30 ans, à combattre l’étalement urbain.
• Le prix d’un même logement en Ile de France varie de 1 à 10 en fonction de sa situation et de son accessibilité aux services. Ceci entraîne une forte ségrégation sociale, avec l’étalement des riches sur l’Ouest parisien et celui des « pauvres » sur les franges de l’agglomération: loin du centre et des transports. Les jeunes ne parviennent plus à se loger.
• Accéder à la propriété d’une maison sur l’est seine-et-marnais ne coûte pas plus que de se loger petitement en banlieue (10/15 000 € pour le terrain, 58 000 € pour la maison choisie sur catalogue, prêt de la banque).
Ceci mène à une concentration de la pauvreté sur des secteurs où l’emploi local est faible, et contribue à une « exclusion silencieuse ».Cette situation renforce la précarité sociale et énergétique de ces accédants (transports inadaptés et dont le coût est en hausse, bilan carbone désastreux, travaux d’isolation sur les maisons insuffisants et recours à de l’énergie chère).
Face à cette situation,
• le pouvoir urbain reste diffus : un « ministre » du Grand Paris, 800 autorités d’urbanisme dont certaines sont pauvres alors que d’autres ne le sont pas, telles le 92 qui affiche un PNB équivalent à celui du Portugal.
• les plus-values créées par la puissance publique ne sont pas récupérées pour aménager, et l’Etat n’a pas de prise sur l’évolution des prix immobiliers. L’offre « abordable » est restreinte et les loyers ne baissent pas. L’immobilier désagrège nos villes.
La politique foncière publique ne pallie pas à la ségrégation. Alors que les départements riches disposent de leur propre opérateur foncier, l’établissement public foncier régional reste pour les autres.
• Les schémas de transports sont conçus sur des échelles différentes, non articulées entre elles:
- le « grand huit » répond à un projet de « ville-monde », apte à desservir avec rapidité quelques pôles économiques de poids régional.
- seul le réseau de transports fonctionnant au cœur de l’agglomération permet une parfaite accessibilité des habitants à tous les services.
• L’objectif public de création annuelle sur la région de 70 000 logements n’est pas cohérent avec le réseau de transport existant, inadapté et en voie de dégradation.
QUELLES ORIENTATIONS POUR DEMAIN?
GOUVERNANCE
• création d’une structure politique régionale de type communauté urbaine voire syndicale (Paris-métropole) assortie d’une culture d’objectifs,
• limitation du pouvoir des maires en termes d’urbanisme et de permis de construire?
• Concernant l’aménagement, le partage du pouvoir entre l’Etat et la région reste ambigu: l’Etat garde le pouvoir de prioriser son schéma (C.BLANC) sur celui de la Région (SDRIF):
- d’une part en recourant à des procédures dérogatoires au droit commun,
- d’autre part en retardant l’approbation du SDRIF, en différant sa transmission au Conseil d’Etat.
Par ailleurs, la Région, pour mettre en œuvre son nouveau schéma d’aménagement, restera contrainte par la difficulté d’imposer aux échelons géographiquement inférieurs des règles strictes limitant l’urbanisation nouvelle.
POLITIQUE FONCIERE
• Mise en œuvre d’une taxation des plus-values pour permettre la réalisation d’aménagements et de logements sociaux
• L’opérateur foncier régional doit également devenir aménageur (englobant ainsi certaines des missions de l’AFTRP) en partenariat avec le privé.
LOGEMENT
• L’objectif serait la création d’un logement social sur 5 réalisés,
• L’enjeu énergétique essentiel (en termes de masse concernée) ne porte pas sur les logements neufs mais sur la réhabilitation du parc existant. Dans cet esprit, les éco-cités restent marginales.
• La division par quatre de nos émissions de CO2 d’ici 2030 appelle une mobilisation des citoyens pour qu’ils transforment eux-mêmes leurs logements (action massive et rapide, avec l’aide publique).
TRANSPORTS
Il convient de raisonner en termes d’accessibilité aux services et à l’emploi:
• à Paris, chacun est correctement relié à l’ensemble des services et le réseau est omnibus,
• à l’échelle du Grand Paris, seul un transport public, à vitesse élevée, pourra être concurrentiel avec la voiture (ce qui exclut à priori le tramway mais non un réseau aérien, plus ludique que le souterrain).
Comment articuler ces échelles? Celle de C. BLANC est macro-économique, et améliore l’accessibilité internationale de l’Ile de France, mais non celle de l’ensemble des habitants.
Il conviendra de partir de l’existant pour intégrer de nouvelles échelles (ex. création de l’Arc express, avec la réalisation de nouveaux segments, en prévoyant un système évolutif. Le projet Paris-Métropole apparaît le seul valable, à condition de ne pas limiter la rénovation des transports à l’hyper-cœur de l’agglomération.
Le Plan de Mobilisation de la Région est très ambitieux. Il nécessitera, sur les quinze ans à venir, un investissement de 25 milliards €.(et s’accompagnera d’un déficit d’exploitation de 43 millions.€ sur la même période).
Dans ce contexte, le projet dérogatoire de la Société du Grand Paris, qui mobiliserait 35 milliards €, ne peut que nous interpeller.
Jacques Dauphin Chargé de mission à IDFE